Le salon des nobles du Noahtic était un espace élégant et sophistiqué, réservé aux passagers de haut rang. La pièce était décorée avec goût, avec des tapis moelleux et des canapés en velours rouge sombre disposés autour de tables basses en bois finement ouvragé. Les murs étaient ornés de tapisseries magnifiques représentant des scènes de la vie aristocratique, avec des détails dorés étincelants.
Au centre de la pièce se trouvait une grande cheminée en marbre blanc, surmontée d’un miroir encadré d’or. Des chandeliers en cristal suspendus au plafond éclairaient la pièce d’une lumière tamisée, ajoutant une ambiance chaleureuse et accueillante.
Des serveurs en livrée impeccable circulaient silencieusement, offrant des cocktails sophistiqués et des amuse-gueules exquis à une clientèle triée sur le volet. Les conversations étaient murmurées et respectueuses, reflétant le calme et la tranquillité de l’espace.
Dans ce salon de luxe, où l’on échangeait des idées et des plaisirs raffinés, l’air était saturé de mécontentement. Le tumulte des voix étouffait la douce musique de fond, reflétant l’impatience des nobles hôtes et leur exigence sans limites. Soudain, une voix forte s’éleva au-dessus de la cacophonie :
« Comment ça vous n’avez pas ma réservation ?
– Je suis sincèrement désolé, il y a eu un petit souci.
– Un souci ? Eh bien, réglez-le ! »
C’était Britts Enders, physiquement charismatique, qui perdait patience devant l’annonce de sa non-réservation. Sa voix, séduisante mais clairement rempli d’agacement, résonnait dans le salon, ajoutant à l’ambiance étouffante un brin d’excitation.
Le maître d’hôtel paraissait décontenancé et cherchait les mots justes afin d’apaiser l’homme :
« – Si vous le souhaitez, vous pouvez vous restaurez au pont inférieur…
– Ne soyez pas absurde ! Vous osez me demander d’aller me gaver à la cantine avec le bétail ?! s’emporta Britts, le regard rempli de colère.
– Non je n’oserais pas ! se rattrapa aussitôt le membre de l’équipage
– Je fais partie des privilégies qui ont tous les droits. Est – ce assez clair pour vous ? dit Britts avec un air suffisant.
– Oui, bien sûr, veuillez patienter je vais de ce pas vous faire préparer une table. »
L’homme s’éloigna en hâte, laissant Britts au comptoir pour retrouver son calme après cette scène embarrassante. Mais alors qu’il commençait à se détendre, il sentit un liquide froid glisser le long de son dos, le faisant grogner légèrement avant qu’il ne se retourne vers la cause de ce désagrément.
C’était une petite fille qui fixait le cadavre de son verre de jus de fruit renversé au sol. Elle leva les yeux vers Britts, qui resta silencieux. Elle déglutit avant de bredouiller maladroitement :
« Pardonnez-moi… »
Britts sourit poliment avant de se pencher vers elle, assez proche de son oreille pour qu’elle soit la seule à entendre :
« Si jamais je te revois, je te tue. »
Sa voix était basse et menaçante.
La petite blêmit avant que les larmes ne lui montent aux joues et qu’elle s’enfuie en courant vers une femme plus âgée qui s’excusait déjà auprès de Britts quant à l’acte malheureux de sa fille.
« Maman !! » cria-t-elle, essayant de se cacher derrière la jupe de sa mère.
Britts poussa un soupir exaspéré avant de détourner totalement son regard de l’enfant, se disant à lui-même :
« Ainsi, même la plèbe envahit le restaurant dédié aux passagers de première classe. Quelle infection ! »
Soudain, une voix douce l’interrompit :
« C’est malheureux, n’est-ce pas ? »
C’était William, qui avait observé la scène de loin et avait choisi de faire son entrée au moment opportun.
« Prenez mon mouchoir, proposa-t-il en tendant un tissu à Britts.
– Merci, euh…, répondit poliment Britts en essuyant le liquide renversé sur sa veste.
– Je suis William James Moriarty.
– Moriarty? Je connais ce nom. Êtes-vous dans l’armée ?
– Vous parlez de mon frère aîné, Albert. Je vous le présenterai à l’occasion, répondit William, gardant son sourire imperturbable. »
Les deux hommes furent interrompus par le retour du maître d’hôtel, qui vint vers eux presque en courant. Il s’arrêta dans une révérence contrôlée avant de déclarer :
« Comte Enders, votre table est prête. »
En soupirant, Britts se redressa et déclara :
« Ce n’est pas trop tôt. Vous m’excuserez, Moriarty. On marche sur la tête ici. »
William laissa passer Britts sans rien dire, restant souriant avant de partir à son tour vers sa table où l’attendait déjà Albert et Louis.
« Nous avons pris la liberté de commander pour toi.
– Merci beaucoup. »
Les trois frères étaient assis autour de la table richement décorée, échangeant des plaisanteries et des souvenirs de leur enfance sous le regard admiratif des femmes de la Haute qui semblaient subjuguées par leur présence. Les plats défilaient, préparés par les meilleurs chefs de la ville, mais ils semblaient plus intéressés par leur conversation que par la nourriture.
Quand arriva l’heure du digestif, un homme d’à peu près une quarantaine d’années vint à eux en disant :
« Comte Moriarty, quelle surprise de vous voir en ces lieux ! Quel hasard ! »
Les hommes se tournèrent vers l’arriviste avant de sourire poliment. Albert, principal concerné, déclara alors :
« Un paquebot ne m’aurait pas intéressé d’ordinaire, cependant mes frères m’ont parlé de l’attraction.
– Vous parlez du premier ballet en mer ?! Je suis également venu y assister ! s’exclama l’homme en tapant dans ses mains.
– Je vous comprends, en tant qu’amateur de ballet, vous ne pouviez manquer cela.
– Je dois avouer que j’ai hâte de voir ce qu’ils ont préparé.
– Oui, je suis sûr que vous ne serez point déçu, dit Albert en souriant avant de porter son verre à ses lèvres. »
L’homme lui rendit son sourire avant de venir tapoter son épaule amicalement puis saluer les deux autres pour partir vers la sortie du restaurant. William sortit sa montre à gousset avant de dire :
« Je prends congé mes frères, vous souhaitant une bonne soirée.
– De même, dit Albert docilement tout en sortant une cigarette de son étui. »
William observait les convives autour d’eux, avec une curiosité malicieuse tout en sortant du restaurant à son tour.
Britts avait déjà quitté les lieux, probablement rejoint ses appartements pour se détendre comme il se devait. William savait que, à cette heure précise, il avait probablement reçu le télégramme qui allait changer radicalement sa vie et son humeur.
Il s’en était assuré personnellement.
En passant rapidement dans le couloir, William aperçut brièvement Sébastian discutant avec un homme qui semblait négligé. Sans s’arrêter pour les écouter, il poursuivit son chemin vers ses appartements. Après tout, il connaissait déjà le contenu de leur conversation.
L’homme en question était Thomas Michelson, un criminel notoire et récidiviste impliqué dans des cambriolages, des viols et même des meurtres. Malgré les preuves accablantes contre lui, il avait toujours réussi à s’en sortir indemne et à poursuivre sa vie de débauche.
Depuis son arrivée au sein de l’équipe de William, Thomas avait été chargé de semer des embûches sur le chemin de Britts à plusieurs reprises. Il ne posait pas de questions quant à son rôle dans cette affaire et il était payé gracieusement pour ses services.
Du moins, c’est ce qu’il lui avait été dit et cela avait suffi à le convaincre.
Cette vie remplie de pêché allait être utilisé à bon usage, pensa William en continuant de marcher sans vraiment porter d’attention aux autres convives.
Soudain, William leva la tête pour contempler l’immense escalier qui se dressait devant lui. Il recula de quelques pas pour avoir une vue d’ensemble, captivé par la majesté de la structure. C’est alors qu’il entendit un petit groupe bruyant non loin de lui, l’obligeant à reporter son attention sur eux.
« Ouah comment as – tu su qu’il était soldat ? Tu le connaissais d’avant ?
– Et cet homme, peux – tu en deviner la profession ?
– Ah évidemment, dit l’homme entouré de ses femmes surexcitées. »
Intrigué, William s’approcha pour voir de quoi il en retournait. L’une des femmes remarqua son regard et lui sourit poliment avant de s’expliquer :
« – Veuillez nous excuser, nous avons fait un pari.
– Un pari ? demanda William, légèrement interloqué quant à la capacité de déduction de l’homme.
– Tout à fait, pour savoir s’il arrive à trouver le métier d’inconnus.
– Allons, cesse de nous faire languir et dis-nous de ce que cet homme fait dans la vie ! »
L’homme haussa les épaules avant de répondre et passa une main dans sa chevelure brune avant de pousser ses cheveux en arrière et dire d’un air triomphant :
« – Vous n’avez donc pas deviné ? Cet homme est mathématicien, bien sûr ! »
William cacha sa surprise tandis que les femmes exigèrent des explications aussi l’inconnu se rapprocha de William et déclara :
« C’est vrai qu’il est beau cet escalier en spirale. Pas étonnant que vous l’admiriez, n’est – ce pas monsieur le Mathématicien ?
– Pourquoi pensez – vous avoir raison ? dit William en souriant.
– Vous avez observé l’escalier avec une durée, une distance et un angle bien précis. Avec un peu de savoir et de logique, il est facile de s’en apercevoir. »
L’homme se tourna vers les femmes qui s’étaient rapprochées avant de poursuivre :
« Plongé dans ses pensées, il s’est subitement arrêté devant l’escalier, captivé par quelque chose qui demandait toute son attention. Bien que la décoration soit impressionnante, il a ignoré tous les ornements pour prendre du recul et contempler l’escalier dans son ensemble. Quel métier se préoccupe davantage de la structure que de l’apparence d’un escalier ? Architecte ? Physicien ? Non, il cherchait autre chose : s’assurer que la courbe de cet escalier respectait la loi du nombre d’or.
– Je vois que votre raisonnement est bien étayé e légèrement forcé. Je suis enseignant en mathématiques à l’université. »
William sourit docilement tandis que les femmes applaudissaient, admiratives :
« Il a encore vu juste ! »
William ne perdit pas son sourire tout en s’approchant de l’inconnu avant de déclarer :
« Eh bien, à mon tour de tenter de vous cerner un peu mieux, si cela vous intéresse. »
L’homme en face de lui sembla curieux, mettant aussitôt une main dans sa poche.
« Vous jouez du violon, mais sans être un professionnel. Vous avez un corps musclé et semblez pratiquer régulièrement des activités sportives. Vous êtes également un amateur d’expériences scientifiques et de drogues illicites. Votre éducation a été faite à Oxford, mais votre accent révèle des origines modestes. Probablement fière de votre mère et de ses origines sociales. Ai-je raison ? » lança William, confiant.
L’homme sembla abasourdi, ne sachant que répondre.
« Comment avez-vous fait pour savoir tout ça ? » s’exclama-t-il, impressionné.
William haussa simplement les épaules avec un sourire malicieux.
« Eh bien, c’est simplement une question d’observation et de déduction. »
L’homme éclata de rire face à l’air satisfait de William avant de venir tapoter son épaule en disant :
« Tu es trop marrant toi. »
Les femmes semblaient lassées du spectacle de l’inconnu qui se tenait devant elles. Elles vinrent l’encercler avant qu’une voix ne s’élève :
« Allons sur le pont supérieur !
– Vous souhaitez continuez ? Demanda l’inconnu, surpris.
– Oh oui, voyons voir combien de fois tu peux faire mouche ! répliqua une autre en prenant son autre bras
– Si vous insis…, commença – t – il sa phrase. »
Il allait continuer sa phrase quand une voix douce venant de derrière William retentit.
« Sherly ! »
Notre ami n’eut même pas le temps de tourner la tête qu’une jeune fille aux cheveux blancs presque argentés se positionna entre l’inconnu et lui, les bras croisés.
Le dénommé « Sherly » se libéra rapidement de la prise des jeunes femmes, malgré leur déception visuelle, et fixa la jeune arriviste avant de dire d’une voix désolée qui ne trompait personne :
« Oh Isabelle, j’ai été retenu, comme tu peux le voir, par ses charmantes demoiselles.
– Est – ce une raison pour en faire poireauter une autre à l’étage ? Je suis frigorifiée et je ne parviens pas à retrouver notre cabine dans cet immense bâtiment. »
William la regarda sans rien dire, fasciné par ce souvenir du passé qui venait le frapper de plein fouet.
Shae avait toujours été belle, mais il était sidéré par sa splendeur actuelle. Sa longue chevelure d’un blanc pur brillait sous la lumière, ses yeux bleus étincelaient tels deux diamants. Elle portait une robe à volants, qui lui donnait des allures de princesse, et William eut l’impression que le temps s’était arrêté.
Il ne pouvait pas en croire ses yeux. Elle était plus belle que jamais, et il la contemplait avec émerveillement.
William finit par se rendre compte qu’il avait été pétrifié par la vision de Shae, et il secoua la tête pour se ressaisir.
Sherly esquissa un sourire face à la phrase de Shae avant de venir caresser docilement sa joue.
« Ton sens de l’orientation est légendaire.
– Tout autant que ton sens de la galanterie, vas – tu me laisser chercher toute seule ? Devrais – je demander à un gentilhomme de faire ton travail d’accompagnateur ? »
Comme piqué au vif, Sherly se tourna rapidement vers les trois femmes et s’excusa avant de trottiner vers Shae. Il retira sa veste et la posa sur les épaules de la jeune fille, l’arrangeant avec précaution pour qu’elle cesse de trembler comme une feuille.
William regarda la scène avec un mélange d’émotions.
Il était heureux de voir que Shae avait un ami aussi attentionné, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir jaloux de la proximité entre les deux. Il détourna les yeux pour cacher sa confusion et croisa les bras sur sa poitrine.
Sherly se tourna vers lui, un sourire enjoué sur les lèvres.
« Bien, à la revoyure, Monsieur le Mathématicien. »
Le regard de la jeune fille se posa sur William et elle sembla pétrifiée sur place. Il y avait une tension palpable entre les deux, une confusion et un malaise qui semblaient s’exprimer silencieusement à travers leur regard.
Finalement, Shae se laissa entraîner par Sherly vers les cabines, détournant son regard de William pour sourire chaleureusement à son compagnon et entamer une conversation animée avec lui. Pourtant, William ne pouvait s’empêcher de ressentir un pincement au cœur en la voyant s’éloigner.
Ce fut à ce moment que Sébastian s’approcha de William avec un air légèrement surpris.
« Mais c’est…, commença-t-il.
– Rien qui puisse perturber le plan en cours » coupa sèchement William en regardant la jeune fille disparaître au coin du couloir. »
Il reporta ensuite son attention sur Sébastian.
« Et toi ? demanda-t-il.
– Comme prévu, la cible commence à s’énerver, répondit Sébastian. »
William acquiesça.
« Bien, continue comme ça. Sa patience va bientôt atteindre ses limites. »
Le regard de William se posa une dernière fois sur le couloir où flottait encore le parfum de sa chère disparue, avant qu’il ne se tourne et ne suive Sébastian dans la direction opposée.
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Voilà qui sonne le glas du chapitre de cette semaine, vous attendiez – vous à pareille apparition et la rencontre avec Sherly, qu’en avez – vous pensé?
Que pensez – vous qu’il va se passer pour la suite ?
La semaine prochaine risque d’être assez rythmée en terme d’action mais en attendant, je vous laisse donner vos avis, vos commentaires me font vraiment chaud au coeur !
xoxo mes Moriarty’s Lovers !
E.W
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