Ce jour-là, la nuit arriva très vite sur la ville de Durham.
Shae jouait nerveusement avec une de ses mèches de cheveux tandis qu’Albert et William échangeaient sur des mondanités et que Louis conduisait la calèche qui les menait à la demeure du vicomte.
Rien ne lui avait été communiqué sur comment allait se dérouler la soirée en compagnie du noble le plus connu de la ville. Après l’annonce de leur venue chez le vicomte, ils avaient tous vaqués à des activités diverses et Shae s’était vu réquisitionné par Louis afin de récurer la demeure du sol au plafond.
Au moment où elle avait cru pouvoir enfin souffler, Albert revint les bras chargés de paquets à son intention et l’avait attiré dans une série d’essayages vestimentaires composée de diverses robes plus somptueuses les unes que les autres.
« Qu’en penses-tu ? avait-il fini par demander en la faisant tournoyer sur elle-même.
– Que vous n’étiez nullement obligé d’en faire autant, mes caisses sont déjà débordantes de robes et de vêtements neufs, j’aurais pu m’en contenter pour la soirée de ce soir !
– Je sais, dit-il en s’approchant d’elle pour arranger les bretelles de la robe blanche qu’elle portait, mais je ne sais pourquoi tu me donnes l’envie de t’habiller. Peut-être tes airs de poupée de porcelaine, qui sait. »
Shae avait rougi, mais s’était laissé faire quand Albert l’avait tourné vers le miroir tendrement afin qu’elle puisse s’admirer.
Il n’y avait pas à dire, Albert avait vraiment bon goût en matière de féminin.
« En tout cas, cette robe te va à ravir, porte-la ce soir, ta candeur aura probablement le don de délier la langue de notre hôte. »
Shae s’était laissé emporter par la gêne avant d’acquiescer en guise de réponse et laisser partir Albert, après un tendre baiser sur le dos de sa main, hors de ses appartements.
Elle s’était ensuite laissé tomber sur son lit en restant habillée et avait patiemment attendu l’heure fatidique de leur départ.
Ne s’étant pas imposée davantage aux jeunes hommes, elle ne savait rien de leurs échanges, rien de leurs desseins. Une part d’elle se voulait nerveuse de cette situation où elle n’était qu’un pion inerte sans aucune réelle utilité, mais une autre, au contraire, s’en trouvait étrangement soulagée, peut-être son illusion mentale de pouvoir faire appel à la présomption d’innocence.
« Nous sommes arrivés, déclara Albert en souriant, puis-je ? »
Shae sortant lentement de sa torpeur tourna le regard vers Albert qui lui tendait la main afin de l’aider à descendre de la calèche. La jeune fille rabattit la capuche de sa cape sur sa chevelure d’argent avant de tendre sa main gantée et de la poser dans celle du comte.
Une fois descendus, ils se tournèrent tous vers l’immense bâtisse d’où un jeune valet sortait en courant presque afin de venir les accueillir.
Une fois à leur hauteur, il fit une légère courbette avant de déclarer de sa voix la plus claire :
« Bienvenue au sein de la demeure du Baron Dublin, laissez-moi vous amener auprès de lui. »
Les trois frères acquiescèrent avant de suivre docilement le serviteur jusqu’à la salle à manger où déjà, celui qui devait être leur hôte s’abreuvait de vin en tapotant nerveusement du pied. En les voyant, il sourit avant de venir serrer chaleureusement la main et baiser celle de Shae en lui jetant un regard surpris avant de déclarer sur un ton rieur :
« Moi qui pensais que la famille Moriarty n’était composée que d’hommes !
– C’est notre jeune sœur, déclara Albert en venant se mettre derrière Shae, elle était jusqu’à ce jour trop jeune et de condition fragile aussi évitions-nous de la montrer à la vue du monde.
– Je vous comprends, dit le baron en souriant sans quitter Shae des yeux, si j’avais pareille beauté au sein de ma famille, je pense que je l’aurais également cachée aux yeux de la société de peur de la voir souillée.
– Votre Seigneurie m’honore, dit docilement Shae en se baissant dans une petite révérence qui laissa le soin au baron d’observer sa beauté ainsi que sa poitrine légèrement visible.
– Passons à table, vous devez être affamé après un tel déménagement et voyage ! »
Il leur montra des sièges autour de la table et les laissa s’installer avant de faire signe à ses serviteurs de servir les différents mets ainsi que le vin :
« C’est un bien modeste dîner, mais je vous souhaite malgré tout un très bon appétit !
– Il est fort généreux de votre part de m’inviter en signe de bienvenue, Baron Dublin.
– Ne soyez pas si formel, c’est bien normal, voyons ! Entre nobles qui partageons désormais la gestion du pays de Durham, il est préférable que nous entretenions de bonnes relations, n’est-il pas vrai ?
– Oui, tout à fait ! dit Albert en souriant.
– Vous ne pouvez pas savoir à quel point je me réjouis d’avoir enfin quelqu’un avec qui converser depuis tout ce temps, ajouta le baron Dublin en portant à ses lèvres un verre d’eau.
– Messieurs, au menu de ce soir : du mouton et du vin, déclara le serviteur tout en montrant une assiette parfaitement décorée qu’il posa ensuite devant le baron avant de faire le tour de la table pour poser leur repas à chacun d’entre eux.
– Cela a l’air divin, s’exclama Shae qui arracha un sourire au baron.
– C’est un honneur pour moi d’avoir une famille de comte, je suis heureux de voir la joie sur votre visage, Milady. »
Shae rougit légèrement avant de sourire chaleureusement au baron et de porter le verre de vin à ses lèvres tout en regardant les frères Moriarty et en essayant de suivre la petite danse de salon qui avait lieu sous ses yeux, chaque mot était mesuré comme une note de symphonie et le moindre faux pas ferait mouche.
Elle posa son verre avant de découper sa viande, légèrement saignante, et d’en porter un morceau à ses lèvres rosées que le baron ne quittait pas des yeux. Quand elle eut fini de mâcher, il dit alors en souriant :
« Est-ce à votre goût ?
– C’est exquis ! dit-elle en esquissant un sourire.
– Alors si votre sœur est conquise, festoyons !
– Monsieur, vous ne devriez pas boire autant…
– Ah ?
– En outre, c’est bientôt l’heure de votre médicament ? »
Comme pour accompagner ses dires, le serviteur apporta une petite fiole à leur hôte ainsi qu’un verre d’eau et lui tendit. L’homme prit la fiole et en but un peu avant de boire le verre d’eau d’une traite.
« Êtes-vous souffrant ? demanda Louis, un air soucieux sur le visage.
– Rien de bien méchant, un petit souci au cœur, dit simplement le baron Dublin en se tapotant la poitrine
– Au cœur ? l’interrogea Albert.
– Oh ! ne vous en faites pas pour moi, j’ai tout ce qu’il faut pour cela.
– Qu’est-ce ? le questionna William qui ouvrit la bouche pour la première fois depuis le début du dîner.
– C’est de la quinine. Cela est supposé soigner le paludisme, mais d’après mon médecin, c’est également bon pour le cœur. Aussi je fais pousser les quinquinas servant à en produire dans ma serre personnelle.
– Une serre ? Vous aimez donc le jardinage ?! s’exclama Shae, un air fasciné sur le visage.
– On peut dire cela, j’aime collectionner les plantes rares, répondit leur hôte en souriant.
– Intéressant, votre loisir s’avère donc utile, dit docilement Albert tout en mangeant.
– Oh ! j’ai une idée. Et si nous allions visiter ma serre après le dîner ? déclara le baron en tapant dans ses mains.
– Cela serait avec plaisir, répondit William avec un sourire chaleureux. »
Le repas continua ainsi autour de discussions mondaines et de plats raffinés puis le baron finit par dire à l’attention d’Albert :
« Parlons plutôt de vous, vous êtes jeunes pour un propriétaire terrien !
– Permettez-moi de me représenter de nouveau, je suis Albert Moriarty.
Un malheureux incendie nous a ravi notre père ainsi que notre mère alors que nous étions enfants. Néanmoins malgré mon jeune âge, j’ai décidé de relever le titre de comte et d’assumer la responsabilité de chef de la famille Moriarty…
– Oh, vous m’en voyez profondément désolé…, déclara le baron semblant comprendre qu’il venait de toucher une corde sensible. »
Albert était habitué à ce type de réaction, aussi il poursuivit sa présentation sans sourciller tout en faisant tournoyer légèrement son verre de vin dans les airs.
« En temps normal, je suis à Londres où j’exerce mes fonctions de lieutenant-colonel d’infanterie… Mais il m’incombait de venir prêter main-forte à mes jeunes frères qui viennent, comme vous le savez, d’emménager, aussi ai-je pris quelques jours de congés.
Et dans l’ordre voici William, professeur de mathématiques à l’université de Durham ; Louis qui gère nos terres et administre nos domaines d’une main de maître à ma place et enfin, notre petite dernière Shae qui aide Louis avec les tâches du mieux qu’elle le peut. Maintenant que j’y pense, William exerce également celle de consultant privé, aussi, si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à faire appel à lui !
– Oh ? s’exclama leur hôte. Alors j’ai une question si vous me le permettez !
– Je vous en prie, dit William tout en posant délicatement sa fourchette et de porter à ses lèvres son verre de vin.
– Ce n’est pas un souci à proprement parler, mais il y a 15 ans déjà ma femme est décédée et nous n’avons pas eu la chance d’avoir un enfant…
– Il vous faut pourtant un héritier à qui léguer vos propriétés et votre fortune, dit William en plongeant ses pupilles rubis dans les yeux noisette du baron.
– Tout à fait, tout à fait ! Et voyez-vous, je n’ai plus de famille proche, peut être pourriez-vous m’aider à rechercher les parents de ma défunte épouse ?!
– Désolé, déclara le cadet en affichant un léger sourire, mais pour ce type de tâche, je crains fort qu’il vous faille faire appel à un détective privé, cela serait plus efficace. Pardonnez-moi de ne pouvoir vous venir en aide.
– Non, non, voulu le rassurer le baron, je n’y avais pas pensé. Je vais suivre votre conseil sans tarder. Bien, si vous avez terminé, et si nous allions profiter de la serre ?
– Nous vous suivons, déclara Albert en se levant de table suivie par toute la fratrie. »
Le baron vint jusqu’à Shae avant de tendre une main vers elle.
Elle hésita un instant avant de la saisir et de marcher à ses côtés jusqu’à la fameuse serre dont il était si fier. Une fois arrivé, il ouvrit les portes sur un paradis terrestre qui tira à la jeune fille un air de surprise et de joie intense.
Comme guidé par son unique instinct, elle lâcha la main du baron avant de marcher presque en sautillant entre les fleurs, tournoyant sur elle-même tout en venant les caresser du bout des doigts et en affichant des sourires infantiles.
Le spectacle semblait plaire au baron qui vint taper l’épaule d’Albert et profiter de l’éloignement de Shae pour dire :
« Je comprends mieux que vous la cachiez si férocement, je suis contente qu’elle trouve mes terres à son goût.
– En parlant de propriétés, déclara Albert en gardant un sourire indéchiffrable, les fermiers de la région semblent payer de très grosses sommes pour leurs fermages.
– Eh bien ! dit le baron en continuant de rire, c’est qu’ils représentent la principale source de revenus de la noblesse. Même ici, à la campagne, quand vient la saison des visites entre nobles, tout a un coût sans même parler du salaire des domestiques. Que voulez-vous, il me faut bien maintenir mon train de vie, les fermiers sont le bétail de notre pays si vous me passez l’expression. »
Le regard des trois frères s’assombrit brièvement à l’unisson sans que le baron semble s’en apercevoir avant de reprendre un air parfaitement neutre. Ce n’était pas le premier noble qu’ils rencontraient avec de telles pensées, leur sang-froid était leur meilleure arme.
« Oui, finit par dire Albert en regardant du coin de l’œil Shae qui avait délicatement remontée sa robe pour attraper quelques fleurs, j’ai visité toutes les régions de notre pays et les nobles y sont bien lotis à peu de choses près. Néanmoins comme vous le voyez, nous ne sommes que trois frères et notre sœur ne nous demande que peu de choses aussi notre train de vie est bien plus « léger » que le vôtre. Aussi nous envisageons une baisse drastique des loyers de nos occupants.
– Monsieur le comte, vous ne pouvez pas faire ça ! déclara brutalement le baron, faisant presque tomber Shae à la renverse tant le cri la surprit.
– Et pourquoi donc ? demanda calmement Albert en continuant de garder un œil sur la jeune fille.
– Si vous faites cela, mes fermiers vont se plaindre. Le monde ne tourne rond que si un équilibre est maintenu ! sembla s’offenser leur hôte.
– Vous avez parfaitement raison, dit William en regardant Albert partir aider Shae descendre de l’arbre, pendant que nous profitons du luxe et de l’opulence, les gens du pays vivent dans la pauvreté… Ce déséquilibre est mauvais et si nous tirons trop sur la corde, notre « bétail » finira par nous bouffer.
– Mais… »
Avant de pouvoir prononcer un mot de plus, Shae vint face au baron.
Dans une révérence délicate et son visage orné de son plus beau sourire, elle lui tendit un bouquet de lys somptueux.
Elle s’était délestée de ses gants et de ses chaussures, sa robe était encore remontée, laissant une vue claire sur ses chevilles nues et ses pieds nus.
Louis retint un juron en la voyant ainsi, mais voyant le calme de ses frères, resta tout aussi inflexible. Il ne manquerait pas de la réprimander à leur arrivée à la demeure.
Le baron, quant à lui, la décortiqua avant de sourire faiblement dire :
« Votre innocence est un trésor qu’il ne faudra jamais souiller, Milady.
– Il est vrai que ce sont vos fleurs, confessa Shae, mais elles m’ont fait pensé à vous, elles sont belles, généreuses et signifient la compréhension. Je suis certaine que la relation naissante entre nos deux familles sera de bon augure pour notre peuple, n’est-il pas ? »
Le baron regarda la jeune fille qui restait là, face à lui, avec son sourire niais et ses fleurs.
Il lui semblait brutalement qu’elle représentait tout ce qu’il haïssait chez les jeunes : la candeur et les idéaux égalitaires. Quelle idée de vendre à des jeunes des terres qu’il avait passé tant de temps à mener d’une main de fer !? Il allait devoir trouver une solution pour les faire plier à ses exigences, peut-être que cette petite pucelle qui lui souriait bêtement était la solution ?
Il s’approcha, prenant les fleurs d’une main avant de venir caresser délicatement le dessus de sa tête de l’autre en déclarant :
« Je n’en doute pas une seconde. N’hésitez pas à venir à la serre comme bon vous plaira, Mademoiselle Shae, votre présence irradie ce lieu comme de mille rayons de soleil. »
Shae sourit avant de reculer légèrement, une dernière révérence avant de se sentir soulevée de terre par Albert lui-même qui, d’une voix chaleureuse, déclara :
« Il se fait tard, nous avons déjà énormément abusé de votre hospitalité. Nous allons rentrer.
– Je fais avancer votre voiture, dit le baron en faisant un signe à un de ses valets. »
Ainsi s’acheva la visite des Moriarty au sein de la demeure Dublin.
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Ainsi sonne le clap de fin de ce dîner dès plus original
Qu’en avez – vous pensé du baron ?
Ce petit moment Albert / Shae a été pour moi assez rafraichissant et innatendu à écrire
J’ai hâte de savoir ce que William en pense , lui qui s’est montré très… William pour ce chapitre
Alors vos pronostics ?
Quoiiii que ! Que dis je le chapitre 15 arrive dans la foulée hihi !
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