« Durham. Terminus du train, tous les voyageurs sont invités à vérifier leurs effets personnels. Durham. Terminus. »
Jetant un énième regard à sa montre à gousset, le jeune noble la rangea dans la poche avant droite de son veston avant de tourner son regard sur sa gauche. Ses yeux vinrent se poser sur la jeune fille endormie à ses côtés qui lui fit esquisser un petit sourire en s’amusant de la voir ainsi.
Était-ce donc à cela que ressemble le sommeil de l’innocent ?
Tirant le châle qu’il avait posé sur ses frêles épaules, elle poussa un bruit proche du ronronnement avant de laisser sa tête partir vers l’arrière, dévoilant malgré lui sa beauté un peu plus au reste du monde.
« Votre compagne est divine, déclara l’homme assis face à eux en esquissant un sourire amusé par le filet de bave coulant le long des lèvres de Shae.
– Merci pour elle, répondit William. »
L’homme leva son chapeau melon en signe de salut avant de prendre son bagage et de se diriger vers la sortie. William se tourna de nouveau vers la jeune fille avant de venir délicatement secouer son épaule.
Shae répondit à son geste par un grognement suivi d’un mouvement brusque du bras, sa main venant s’écraser sur le nez du jeune homme, lui tirant un râle de douleur.
« Oh pardonnez-moi, je vous… Ah ! c’est toi… Qu’est-ce qui se passe ?
– Nous sommes arrivés à Durham, répondit sèchement William en massant légèrement son nez, me ferais-tu l’obligeance de te lever à moins que tu veuilles repartir avec le train.
– Tu serais trop content, déclara-t-elle en levant les yeux.
– Là tout de suite, j’hésite. »
Shae retint un grommellement avant d’arranger le châle autour de ses épaules tandis que le jeune homme rassemblait leurs deux malles et se dirigea vers la sortie du train.
Un regard à son reflet dans un des miroirs du wagon ainsi qu’une main disciplinaire passée dans sa chevelure argentée afin de ressembler à quelque chose, et notre petite Shae partit en trottinant à la suite de William, se frayant un chemin à travers les quelques passagers restants.
William se tourna vers elle, ses yeux ambrés se plongeant dans ceux océan de la jeune fille avant qu’il ne tende la main vers elle afin de l’aider à descendre la petite marche. Shae saisit délicatement sa main puis resta près du jeune homme qui, en appui sur sa canne, essayait de déchiffrer un plan que lui avait dessiné Albert avant qu’il parte.
« Albert a encore fait dans le détail… À se demander s’il n’était pas plutôt fait pour une carrière d’artiste. »
Shae retint un rire amusé à sa réflexion avant de regarder les alentours.
On était bien loin du brouhaha urbain de la ville de Londres, Durham n’était que calme et son air était frais et fleuri. Des champs bien entretenus s’étendaient sur des kilomètres et on pouvait voir les maisons des habitants, petites, mais très bien entretenues côte à côte tout le long du chemin.
Le regard de la jeune fille s’attarda sur une petite échoppe où une vieille femme vendait des fruits et légumes. Rien de mieux qu’une personne qui connait tout le monde pour vous indiquer votre route.
Sans trop regarder devant elle, Shae courut vers l’échoppe, mais sa course s’arrêta net en entendant le hennissement des chevaux ainsi que les cris du cocher qui, surpris par son apparition, dût arrêter la calèche de justesse.
« Non, mais ça ne va pas !? C’est dangereux ! Dégage du milieu de la route, fillette, je conduis le baron Dublin moi !
– Mais quelle idée de rouler à une vitesse pareille ! Chauffard ! s’exclama Shae en direction du cocher, déjà loin. »
William leva les yeux au ciel pestant intérieurement de voir tant de maladresse dans une seule personne avant de commencer à se diriger vers elle pour aider la jeune fille.
Cependant, quelqu’un lui coupa la route, le devançant dans son geste et attirant par la même occasion l’attention du cadet Moriarty.
Cachée sous son châle, sa chevelure brunâtre tombait en cascade sur ses épaules tandis que ses traits matures montraient qu’elle devait avoir aisément le double de l’âge de Shae, une femme vint poser sa main sur le dos de Shae pour l’aider à se relever.
Les quelques bouts noirs et blancs de tissus visibles de ses vêtements en disaient long sur sa profession, possiblement une femme de ménage ou une nourrice au vu de son besoin instinctif d’aider autrui, pensa William en continuant de l’observer.
Ce qui frappa réellement le jeune homme était son regard brillant d’une lueur qu’il ne connaissait que trop bien, celle qui le faisait frétiller et lui annonçait que son séjour n’allait pas être aussi monotone qu’il l’aurait pensé.
« Vous allez bien ? Il ne vous a pas fait de mal ? demanda la femme en tenant la main de Shae tout en essayant d’esquisser ce qui ressemblait plus à une grimace qu’à un sourire.
– Oui, c’est de mon fait, répondit la jeune fille en dépoussiérant sa jupe tout en s’assurant qu’aucun accroc n’y avait été fait, j’aurais dû regarder avant de traverser, merci de m’avoir aidée.
– C’est eux qui sont méprisants envers les autres, dit sèchement la femme affichant un air plein de mépris à leur pensée, vous n’êtes qu’un dommage collatéral parmi d’autres. »
Shae l’observa quelques instants avant de lui sourire chaleureusement tout en se courbant dans une légère révérence de remerciement.
La jeune fille ne souhaitait pas attiser le feu qui prenait naissance dans le cœur de la femme qui lui faisait face, elle avait déjà tellement à gérer, entre sa récente acceptation de collaboration avec les Moriarty ainsi que les ficelles du métier de gouvernante que Louis lui imposait d’apprendre désormais, que devoir gérer les états d’âme d’une inconnue était le cadet de ses soucis.
Une forme d’égoïsme me dites-vous ? C’est fort possible.
Elle préféra d’ailleurs détourner son attention sur William qui, resté en retrait, s’était approché de l’échoppe afin de s’adresser à la gérante.
« Ma sœur et moi cherchons à nous rendre au manoir Gauss Beck, sauriez-vous nous aiguiller ? »
Sa sœur ?!
Shae faillit s’étrangler avec le rire qui menaçait d’éclater à cette appellation.
Qui diantre pourrait croire qu’ils étaient frère et sœur ?! Elle savait qu’elle faisait très jeune, mais soyons raisonnable, il devait avoir trois ou quatre ans de plus qu’elle et aucun signe ne pouvait justifier que le même sang coulait dans leur veine.
Et puis, après ce qui s’était passé entre eux, comment osait-il seulement prétendre un tel mensonge !
Ni leurs cheveux ni leurs yeux ni même la manière dont ils se tenaient, rien ne pouvait rendre cette excuse pitoyable réaliste !
Elle regardait autour d’elle afin de voir les réactions possibles, mais personne ne semblait avoir trouvé cela choquant, pire la vieille dame sourit chaleureusement à William en déclarant :
« Dites, ce n’est pas vous le nouveau professeur de mathématiques de l’université dont tout le monde parle en ville ?
– Oui… Vous êtes déjà au courant ?
– C’est une petite ville rurale ici, déclara la vendeuse en souriant, alors l’arrivée d’étrangers se sait vite. J’admets être surprise que vous soyez professeur alors que vous êtes un noble… Vous êtes vraiment original ! J’ai également entrevu vos frères, des êtres charmants !
– Moi, original ? »
William souleva lentement la tête avant de balayer les lieux du regard et de l’arrêter sur la femme qui, un peu plus tôt, avait sauvé Shae.
Si un regard avait pu tuer, il serait déjà probablement mort tant la haine qui se dégageait de ses pupilles brunâtres était visible.
Comme se rappelant sa condition, son regard s’adoucit brutalement et elle fit une révérence avant de partir presque en courant dans les ruelles.
Shae se rapprocha de l’échoppe sans porter d’attention réelle à William et prit une pomme d’un rouge vif qu’elle porta à ses lèvres afin d’y planter les dents avant de tirer sur la veste de William pour l’intimer à payer.
Trois heures de train et une quasi-mort, cela vous ouvre l’appétit.
Le noble leva les yeux au ciel avant de donner quelques pièces à la dame qui sourit en déclarant :
« Essayez de ne pas lui en tenir rigueur, voulez-vous ?
Cette petite, Michelle, déteste les nobles, voyez-vous… Pas étonnant, me diriez-vous, quand on sait que son fils est mort après que le baron ait refusé de l’aider. »
Shae, la pomme toujours à la bouche, tourna son regard vers le chemin qu’avait emprunté la femme puis vers la vieille dame qui lui adressait un sourire chaleureux tout en lui tendant un mouchoir pour essuyer ses lèvres salivantes :
« Mes pommes vous plaisent ? Et si vous en preniez un panier ? Je vous les offre, c’est pour votre joli minois.
– C’est vrai ? s’exclama Shae, les yeux pétillants comme une enfant avant de regarder William comme attendant son approbation. »
William sourit face à tant de candeur et acquiesça.
La jeune femme sautilla sur place comme une enfant avant de reporter ses yeux bleus pleins de joie sur la femme qui déjà remplissait le panier et le tendait vers elle.
« Prenez cela comme gage de bienvenue, ce n’est pas tous les jours que l’on croise de gentils nobles en ces lieux. »
Shae la remercia tout en prenant le panier contre sa poitrine et continua de manger sa pomme comme un enfant satisfait.
« Quant au manoir, poursuivit la vendeuse, suivez le chemin juste là puis tournez sur votre droite. Vous ne pourrez pas le rater.
– Merci beaucoup, dit William en soulevant son chapeau en la remerciant avant de se saisir des deux malles et de commencer à avancer dans la direction indiquée. »
Comme l’avait dit la vieille dame, le manoir Gauss Deck se voulait inratable une fois que vous étiez sur la bonne route et Shae se rendit compte que les frères Moriarty avaient dû y mettre une fortune !
Il n’était pas aussi grand que le manoir qu’ils possédaient à Londres, cependant pour seulement quatre personnes, il y avait de quoi passer des journées entières à explorer ; et encore il ne lui fit aucun doute qu’elle trouverait toujours de nouvelles choses.
« C’est nous, dit William en ouvrant la porte du manoir et en adressant son sourire le plus chaleureux à l’attention de ses frères présents dans le hall.
– Vous arrivez tard !
– Une fois n’est pas coutume, je me suis perdu, avoua William en haussant les épaules. Vous avez déjà fini le ménage ?
– Eh oui, répondit Albert en s’approchant du panier de Shae et y piocher une pomme en souriant, les déménageurs ont fait un travail d’orfèvre, mais je pense que cette rapidité d’action n’aurait pu être sans l’intervention de Louis. »
Le benjamin des frères rougit légèrement avant de sourire à l’attention de son frère et tirer les malles de ses mains :
« Je te débarrasse, grand frère, repose-toi, tu l’as bien mérité. Shae, viens, on va mettre tes fruits dans la cuisine, ranger les bagages et puis préparer le dîner. »
Sans attendre une réelle réponse de sa part, Louis commença à partir vers la cuisine et Shae courut presque pour le rattraper.
Décidément, son aversion à son égard était le fait le plus avéré de toute l’Angleterre, il était clair pour elle qu’il ne souhaitait pas qu’elle soit là, mais au moins il ne voulait plus commanditer son assassinat, elle y voyait un certain progrès. Aussi, peut-être devrait-elle remercier William pour cet exploit ?
Après tout, depuis qu’elle avait accepté de faire partie de leur équipe, un calme plat régnait dans les murs de la demeure.
Et, même s’il est vrai que de leur machination elle n’avait rien pu voir encore, elle pouvait s’asseoir et les écouter refaire le monde pendant des heures. Shae savait que tant qu’elle n’avait pu faire acte de foi, elle ne serait jamais des leurs, mais comment faire amende honorable quand on ne sait pas quelle pièce de l’échiquier doit être bougée ?
« Peux-tu cesser de rêvasser et m’aider avec le thé, je te prie. »
Les yeux de la jeune fille se tournèrent en direction du benjamin Moriarty qui, les bras chargés de friandises, la fixait froidement.
Rougissant légèrement de sa maladresse, elle fit un léger geste d’excuse. Shae trottina jusqu’au réchaud où elle prit délicatement la théière qu’elle remplit d’eau avant d’ajouter les fleurs à infuser dedans puis l’entreposa sur un plateau avec le service à thé ainsi que le reste des gâteaux que Louis avait laissé sur le comptoir.
Quand elle passa la porte du salon, elle surprit les trois frères en discussion :
« C’est officiel, je me sens enfin à la maison.
– C’est étrange que tu penses ainsi, hormis notre visite avant de l’acheter, tu n’avais visité cette demeure qu’une fois.
– Certes, j’ai choisi cette résidence, car elle est proche de l’université, mais au fond, où que je sois, ma maison est l’endroit où je peux boire ton fabuleux thé. »
William adressa un sourire chaleureux à Louis qui ne put s’empêcher de rougir à cette remarque ce qui arracha à Shae un léger sourire de le voir aussi vulnérable avec son frère. La jeune fille posa délicatement le plateau avant de s’asseoir face à William tandis que son arrivée sembla sortir Louis de sa rêverie et qu’il déclara :
« J’y pense, nous avons reçu ceci, grand frère.
– Le vicomte de Belfort ? s’interrogea notre blondinet en examinant le contenu de l’invitation.
– C’est l’autre propriétaire des terres alentour, déclara Albert en venant s’asseoir près de William tout en se servant une tasse de thé.
– Il nous invite à venir dîner ce soir à sa demeure, lut William avant de porter sa tasse à ses lèvres. »
Shae remonta ses jambes sur le fauteuil, buvant son thé en jouant son rôle de meuble en les écoutant parler.
« Eh bien, allons-y tous les quatre. »
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Tchou tchou, nous voilà à Durham à savoir quelles sont les réelles aventures que vont vivre nos quatres amis ici
Alors selon vous ? Quel pourrait être la suite des événéments surtout avec une fille aussi instable que notre Shae nationale ?Ne dites pas le contraire, vous adorez que je vous torture l’esprit ~
On se dit à la semaine prochaine pour le chapitre de To Be Mine !
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