Lucia s’arrêta et laissa place au silence.
Ses dents vinrent s’enfoncer dans la chair de sa lèvre inférieure, se demandant si cela était une bonne idée de sa part de confier à de parfaits inconnus l’histoire de sa petite Shae.
Se dévoiler était une faiblesse dans le monde où il évoluait et si, que Dieu l’en préserve, ces hommes n’étaient pas aussi pieux qu’ils le prétendaient ? Elle ne souhaitait nullement être la personne qui leur offrirait sur un plateau d’argent, l’arme qui serait fatale à son petit ange !
À bien y réfléchir, cette histoire n’était pas directement liée à Shae, mais à sa mère aussi elle ne devrait donc pas s’en retrouver entachée.
Cependant, la réputation d’une jeune fille était, encore plus en pleine ascension sociale, si fragile que Lucia ne désirait pas que cela vienne contrarier les plans qu’Eleanor avait pour sa fille.
Elle n’avait certes pas pris le chemin tout tracé que lui avait dessiné sa génitrice, mais désormais Shae avait un pied dans la noblesse ce qui signifiait qu’il ne suffisait plus que d’un regard et elle retrouverait les siens.
Était-ce alors raisonnable de sa part de confier ce secret qui pourrait souiller son bouton-d’or à ces hommes en sachant cela ?
William n’avait dit mot tout le long de la réflexion de la femme.
Il ne connaissait que trop bien cette protection maternelle qui faisait se lier la langue et l’empêchait ainsi de savoir l’objet de ses questionnements.
Pouvait-il lui en vouloir de se torturer l’esprit sur leurs intentions envers la jeune fille qui s’était enfuie comme le chaton sans éducation qu’elle était ?
Une part de lui la comprenait, cela faisait beaucoup à encaisser entre la « résurrection » de sa protégée, cette révélation soudaine, bien que cela soit un mensonge éhonté, elle s’était fait enrôler chez des nobles comme domestique et enfin sa réaction démesurée à l’énonciation du nom « Holmes ».
L’autre part de lui, la plus sombre et la plus contrariée, en avait assez de tergiverser. Il souhaitait simplement qu’elle crache le morceau pour qu’il rejoigne leur demeure et en finisse avec ces secrets autour de cette fille à l’impulsivité agaçante.
Lucia, malgré son travail douteux, avait tout d’une femme de bien, aussi se promit-il intérieurement de ne pas y aller trop durement dans son interrogatoire.
Le jeune homme avança la main droite pour se saisir de la théière et se verser ce qui semblait être de l’Earl Grey de très bonne qualité.
Tandis qu’il portait la tasse à ses lèvres, ses yeux balayèrent la pièce dans son ensemble et ce qui lui avait échappé à son arrivée le frappa de plein fouet.
Bien qu’ils se trouvaient dans une maison close, le mobilier ainsi que la porcelaine qu’il tenait à la main n’étaient en rien des choses avec peu de valeur. Il y en avait bien pour des milliers de livres.
Le ménage était parfaitement fait, la maison entretenue comme celle d’un noble lambda et Lucia, dans toute sa torture mentale, était vêtue comme une femme élégante qui aurait pu se fondre sans grande difficulté dans la haute société.
Il n’avait pas tiqué quand la bourse était tombée sur la table dans un fracas, mais maintenant qu’il regardait les lieux et en y réfléchissant un peu plus, il se disait que l’affaire devait être bien obscure pour que le secrétaire d’État verse une somme aussi conséquente de manière récurrente à une jeune fille des bas quartiers.
William semblait perturbé.
Était-ce la présence de Shae qui obstruait ses facultés d’analyse ? Ce type de détail ne lui aurait jamais échappé avant. Non, cela devait être la fatigue, il n’avait pas fermé l’œil depuis des jours avec les déplacements et les préparatifs pour le déménagement dans la maison de campagne. Elle n’était qu’un élément perturbateur externe.
Bien, il était temps d’entamer les hostilités.
À l’instant même où la tasse du jeune homme se posa sur sa petite assiette, de grands coups furent donnés à la porte d’entrée.
« Veuillez, s’il vous plait, ne pas bouger. Je vais m’en quérir de voir de qui il s’agit. »
La femme se leva lentement tandis que les coups continuaient inlassablement.
Lucia n’attendait personne et elle se doutait pertinemment que la jeune Shae, tout fraichement revenue d’entre les morts non plus. Quant à ses filles, un char lancé sur la maison ne les réveillerait point compte tenu de la nuit mouvementée qu’elles avaient passée.
Alors qui osait toquer à leur porte ainsi ?
Sa main vint au passage saisir un tisonnier pendant qu’elle avançait à tâtons.
Elle s’arrêta dans l’entrebâillure encore visible par les jeunes hommes, à l’instant même où les coups cessèrent et que le silence devint de nouveau maître des lieux.
« Qu’est-ce… ? commença-t-elle.
– À l’aide, je vous en prie ! »
Un bruit sourd bien plus fort se fit entendre, ce qui ne manqua pas de faire sursauter la gérante et tomber son arme de fortune.
Le courage la quitta aussitôt et rien ne semblait la faire bouger pendant que les cris à l’extérieur continuaient.
« Écarte-toi, s’exclama Shae en dévalant les escaliers. »
Lucia fut projetée en arrière, tombant assise sur le sol pendant que les deux yeux bleus de sa protégée vinrent se plonger dans les siens avant que la jeune fille n’ouvre la porte brutalement.
« Att… Attends ! déclara la mère maquerelle dans un élan de lucidité. »
Lucia ne savait que trop bien comment tout cela allait se terminer.
Elle se releva et se dirigea vers la ruelle suivie de près par les trois jeunes hommes, mais il était déjà trop tard et tout se passa assez vite.
Le bruit du martinet qui s’abat violemment sur sa victime, un couinement sourd que l’on retient entre ses lèvres pour ne pas donner satisfaction à l’assaillant d’avoir réussi à nous faire mal et enfin des larmes versées qui n’appartiennent à aucun des deux protagonistes de l’acte.
Il ne faisait aucun doute que la douleur la lançait, mais sûrement dû à l’adrénaline, Shae se redressa lentement, sa robe déchirée et un filet de sang venant tacher la dentelle montrant la puissance du coup porté.
Malgré tout, elle ne bougea pas et Lucia ainsi que nos trois amis purent se rendre compte qu’elle avait pris le coup à la place d’un petit garçon d’à peine une dizaine d’années. Lucia le reconnut assez rapidement, il s’agissait d’un des orphelins dont s’occupait Shae quand elle en avait encore le temps.
À ses heures perdues, il travaillait comme vendeur de journaux à la limite des quartiers, il semblait qu’aujourd’hui son travail lui avait causé quelques petits soucis.
Le petit fut poussé dans la maisonnée, tremblotant, pendant que le propriétaire du martinet se mit à aboyer comme le chien féroce qu’il semblait penser être :
« J’ai un compte à régler avec cette demi-portion, je te saurais gré de dégager de mon chemin, catin !
– Comme vous vous en doutez, je ne bougerais pas d’un pouce, déclara Shae. »
L’homme serra les dents tout en défaisant sa cravate et en émettant un bruit de mécontentement.
Qui était cette insolente qui remettait en question son autorité ?
Il était hors de question qu’elle le prive de son plaisir de foutre une correction à ce gueux qui l’avait contrarié, encore plus après une telle journée où il avait perdu des milliers aux jeux. Il avait besoin de se défouler.
Il serra son martinet entre ses mains sans quitter Shae du regard qui elle, analysait la situation : elle faisait face à non pas un, mais trois hommes, dont deux clairement sous-payés pour protéger une raclure pareille.
« Décidément, dit l’homme en avançant vers elle, tu n’as vraiment pas appris à tenir ta jolie petite langue dans ta bouche. Tu devrais faire attention, quelqu’un de mal attentionné pourrait venir te la couper.
– Que vous a-t-il fait pour mériter pareil châtiment ? demanda Shae, ne parvenant qu’à lui jeter un regard de dégoût. »
L’homme montra son pantalon où une tache de boue y avait élu domicile.
« Ce mioche m’a sali !
– C’est tout ? Vous n’êtes pas sérieux ?
– Savez-vous combien cela a pu me coûter ? s’exclama-t-il. Bien sûr que non, vous les gens de votre milieu n’êtes bon que pour la souillure.
– C’est purement matériel, déclara Shae en croisant les bras, en revanche si vous lui cassez le bras, il ne pourra pas travailler et là, ça sera préjudiciable. Essayez de vous montrer raisonnable. Ne pourrions-nous pas trouver un arrangement pour vous dédommager ? »
L’homme resta silencieux quelques instants avant de reluquer Shae des pieds à la tête sans aucune discrétion tout en réfléchissant. Ses yeux se baladaient sur sa poitrine avant de caresser ses formes pour venir mourir sur la peau laiteuse de ses jambes.
Ses yeux s’attardèrent sur la blessure qu’il lui avait faite.
Son visage se défigura en un léger rictus malsain et une légère érection se fit dans son pantalon soit-disant souillé.
C’est que la jeune fille était plutôt bien faite pour son âge, un arrangement hein… N’était-ce pas un privilège pour une fille de sa condition que d’obtenir les faveurs d’un vicomte ?
Il sourit en s’approchant d’elle, ignorant royalement toute autre personne avant de lever délicatement le visage de Shae et dire :
« Tu payerais de ton corps cet affront ? »
À ses dernières paroles, Shae baissa la tête afin de canaliser sa colère, serrant le poing jusqu’à ce que ses ongles lui pénètrent la peau.
Rien n’y faisait, elle ne parvenait pas à se calmer, se demandant en boucle de quel droit cet homme se sentait supérieur à eux à cause d’un peu d’argent.
« Shae, non ! avait hurlé Lucia bien trop tard »
La jeune fille sauta à la gorge du noble qui, surpris, n’avait pas eu le temps de réagir et avait basculé au sol, se retrouvant sous elle.
La position, bien que tendancieuse, annonçait la couleur de ce qu’il allait se passer. La jeune fille voyait rouge et ses mains délicates vinrent s’enrouler autour du cou du noble qui essayait d’attraper son arme de torture propulsée quelques centimètres plus loin, en vain.
Comme pris d’une impulsion protectrice monnayée, ses deux gorilles essayèrent de la tirer, mais cela ne faisait qu’aggraver les choses, car ses griffes semblaient plantées dans la chair du noble.
Shae continuait de serrer sa prise puis, comprenant que les ongles n’étaient pas suffisants, elle vint mordre férocement l’oreille du noble et lui arracher un bout de peau.
Le spectacle aurait pu friser le ridicule et Albert en aurait ri s’il ne s’agissait pas d’une situation de crise et que l’attention que commençait à générer cela n’allait pas leur porter préjudice.
Quand ils réussirent enfin à la faire lâcher, Shae griffa la joue de l’homme tandis que ce dernier toussa férocement avant de la regarder, plein de rage, le cou et le visage ensanglantés.
La jeune fille, tenue en laisse par ses deux singes, fixait le noble avec un regard plein de dégoût avant de déclarer sans aucun ménagement :
« Là, vous pouvez parler d’affront, ordure. »
L’homme regarda dans sa direction. Elle allait le lui payer !
Lui, fils de vicomte se faisait ouvertement ridiculiser devant d’autres hommes par une petite pute sans statut !
Sa main vint prendre violemment le visage de Shae en otage pendant qu’il la tirait à quelques centimètres de lui, la fixant droit dans les yeux avant de déclarer :
« Salope !
– Laissez-là, je vous en prie… Elle ne savait pas ce qu’elle faisait ! déclarait Lucia, paniquée.
– Bien sur que si ! Allez-y, frappez-moi et je vous assure que c’est la dernière chose que vous ferez, pourriture ! cracha Shae en sa direction. »
Les deux individus se regardaient en chiens de faïence, prêts à se sauter dessus dès que l’un baisserait sa garde.
Le vicomte passa une main sur son cou afin d’atténuer la douleur tout en la regardant. Quelle tigresse qui ne demandait qu’à être domptée ; chose qu’il ferait avec un plaisir presque malsain.
« C’en est assez. »
L’homme sursauta avant de se tourner vers William qui avançait lentement vers lui.
« Vous êtes qui, vous ?
– Eh bien, Lord Elton, je suis peiné de voir que vous ne nous reconnaissiez pas, dit calmement Albert en avançant à son tour près de son frère.
– Comte Moriarty… ? »
Le vicomte passa d’une émotion à l’autre tandis que son visage semblait blêmir.
« Cette jeune fille est sous notre protection. Je vous saurai donc gré de ne pas la souiller davantage. »
Elton serra les dents en les regardant un à un puis finit par exiger qu’on lâche la jeune fille, grommelant des noms d’oiseaux avant de les regarder. Il finit par arranger ses vêtements, tapotant un mouchoir sur son cou tout en déclarant à l’attention d’Albert :
« Apprenez à dompter votre chienne sauvage, Moriarty.
– Je prends note de votre conseil, déclara Albert en ne le quittant pas des yeux tandis que William vint tenir Shae avant qu’elle ne se laisse envahir par de nouvelles pulsions. »
Lord Elton jeta un dernier regard à la jeunette avant de s’en aller en compagnie de ses gardes.
Shae sentit au même instant ses jambes se dérober sous son poids, tombant à genoux à même le sol, la tête baissée pendant que Lucia courut vers elle pour vérifier qu’elle n’avait rien.
La voix de Shae résonna dans un murmure :
« Pourquoi vous en êtes-vous mêlé ?
– Comment ? demanda Albert en la fixant, étonné.
– Je gérais la situation, il était à ma merci et je lui aurais donné une bonne leçon sans votre intervention puérile ! cria-t-elle tout en posant ses yeux embués de larmes sur eux.
– Shae, cet homme allait te tuer si tu avais continué ! tenta de les défendre Lucia tandis qu’elle courut à la table chercher de quoi appliquer de l’agouant sur sa plaie. »
La jeune fille semblait insensible à la défense faite et redirigea sa colère vers les trois jeunes hommes qui l’accompagnaient. Les nobles étaient tous les mêmes, ils avaient beau dire le contraire, ils n’hésitaient pas à se protéger entre eux dès que les choses tournaient mal.
Des traîtres, voilà ce qu’ils étaient.
« Qu’est-ce que cela peut leur faire ? Je n’avais pas besoin de l’aide d’un noble, d’une pourriture de no… »
Le bruit d’une claque retentit.
Le geste fut si rapide et lourd de sens qu’il provoqua chez tous un étonnement sans mesure.
Personne ne bougeait, personne ne parlait pendant que le visage de Shae était immobile sur le côté et que la main de William, resté en suspens, tremblait encore sous le choc de l’impact.
Le regard des deux individus se plongèrent l’un dans l’autre avant que William ne tourne les talons, remettant son veston en place dit d’une voix faussement calme :
« Rentrons maintenant. »
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Hé bien, bien, si tu es là c’est que tu viens de finir le tant attendu chapitre 11 de To Be Mine !
Pfiou ~ N’est – il pas lourd et chargé en émotions ?!
Comprenez – vous la colère de Shae ?Que pensez – vous de la réaction de William à l’attention de Shae?Et puis, n’êtes – vous pas aussi impatient que moi de lire…Le prochain chapitre de To Be Mine ?! ❤️
Donnez moi vos avis dans les commentaires, votez & on se dit à la semaine prochaine !
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