Un regard à son reflet lui fit pousser un soupir.
Elle avait beau avoir passé une vingtaine de minutes à essayer de savoir quoi faire de sa chevelure, rien n’y faisait : elle se retrouvait avec des cheveux encore humides et dans l’incapacité de les dompter. Shae passa une main dans ses cheveux sans réelle conviction afin de les tirer vers l’arrière pour les discipliner un tantinet.
Tant pis, pensa – t – elle, ils vont devoir subir ce spectacle déplorable temporairement, après tout ce n’est pas comme s’ils allaient me supporter indéfiniment, juste le temps d’un remerciement et je serais un visage de plus dans cette masse qu’est Londres.
Elle jeta un énième coup d’œil à sa dégaine, détaillant un peu plus les vêtements qu’elle avait enfilé à défaut d’avoir sa propre garde-robe à portée de main. Le corsage était fait d’une dentelle blanche assez fine qui épousait parfaitement ses formes, sa poitrine peu compressée, n’était pas comme à son habitude dévoilée à la vue d’autrui. Une doublure cachait parfaitement sa peau laiteuse et la réchauffait en ce temps automnal.
La jupe, quant à elle d’un tissu couleur bleu roi, tombait en doux volants le long de ses jambes fines pour venir s’arrêter élégamment à ses chevilles.
Il n’y avait pas à dire, ils avaient du goût en matière d’apparat féminin.
On aurait pu penser qu’ils avaient fait cela régulièrement, couvrir les femmes de présents devait être un de leur passe – temps, qui sait.
Qui les en blâmerait, après tout, pour les avoir aperçus brièvement, ils étaient assez agréables à regarder et en âge de se trouver une petite épouse guillerette alors pourquoi devraient – ils s’en priver ? Qu’ils jouent les dandys, ce n’est pas elle qui irait les juger et puis cela ne la regardait en rien. Tout ce qu’elle souhaitait c’était s’en aller sans faire de vagues, faire une de ces jolies révérences dont raffolait la noblesse pour ensuite partir vaquer à ses occupations.
Mais qu’allait – elle pouvoir leur dire ? Comment devait – elle les remercier ? Devrait – elle leur adresser un panier garni une fois tout cela terminé ? Ou un simple « Merci » suffirait – il à essuyer la dette qu’elle avait désormais envers eux ?
Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on vous sauve d’une mort certaine.
La jeune fille avait ainsi quitté la chambre, descendant les escaliers un à un tout en tenant les pans de sa robe et s’était arrêté devant la porte de ce qu’elle supposait être le salon. Elle resta là à faire les cent pas afin de trouver les mots justes. Que cela lui semblait compliqué, elle qui d’ordinaire ne parlait qu’à très peu de monde devait s’exprimer devant trois jeunes hommes qui l’avait vu dans une situation compromettante.
Elle inspira profondément, retenant sa respiration quelques secondes avant d’expirer la montée de stress qui se saisissait d’elle.
Quand il faut y aller, il faut…Aïe !
Un choc la fit reculer de quelques pas pendant qu’elle leva les yeux pour croiser ceux méprisant du jeune homme. Louis stabilisait son plateau pour éviter une catastrophe supplémentaire.
Celui-ci avait l’air de ne pas beaucoup l’apprécier, entre ça et le jet de serviette tantôt, il était clair qu’il n’avait qu’une hâte : qu’elle prenne la poudre d’escampette…
Shae se dit qu’elle fera un plaisir de lui rendre ce service à la moindre occasion.
« – Veuillez – m’excuser de mon inattention.
– Faites plus attention où vous marchez, andouille, grommela Louis tout en poursuivant son chemin vers les cuisines. »
Quand il ne fut plus dans son champ de vision, elle se tapa les deux joues tout en pensant :
Décidément, cela ne va pas être une mince à faire que de les remercier si je leur cause davantage de soucis ! Bon allez, il me suffit de faire plus attention où je… Mais bon sang !
Shae se tourna pour s’excuser de nouveau mais s’immobilisa net quand ses yeux rentrèrent en contact avec le torse de l’inconnu. Elle leva la tête et se mit à dévisager l’inconnu qu’elle avait rencontré au saut du lit.
La jeune fille recula – un peu – brusquement avant de s’excuser de nouveau pendant qu’il retint un sourire de la voir aussi maladroite.
Il était évident qu’elle était complètement déboussolée dans ce manoir dont elle ne savait rien.
Albert finit par s’écarter pour lui laisser le champ libre tout en disant d’une voix calme :
« – Je vous en prie, entrez, nous avons beaucoup à nous dire. »
Contrairement à l’autre individu, celui – ci était plutôt doux bien qu’elle soupçonnât que sa douceur soit plus de la hauteur de la politesse que d’un intérêt quelconque envers sa personne.
Shae acquiesça avant d’avancer dans la pièce qu’elle balaya rapidement des yeux. Quelle mauvaise habitude qu’elle avait de toujours analyser son environnement avant de s’intéresser aux individus qui s’y trouvent.
La pièce n’était finalement pas si grande.
Les murs étaient tapissés d’un papier peint d’un bleu nuit à motif qui venait s’arrêter à mi-parcours pour laisser place à des moulures de marbre d’assez bon goût. Son regard glissa sur ce qui semblait être de la moquette également à motifs se mariant bien avec le reste. Surement qu’ils en avaient mis pour étouffer le bruit que pouvait faire les chaussures au contact du parquet.
Au centre de la pièce, devant elle, se tenait une table basse ainsi qu’un grand fauteuil et deux canapés. Un service à thé en porcelaine était posé non loin sur une table un peu plus surélevée, et certaines des tasses étaient déjà pleine de breuvage nacré libérant un effluve d’oranger dans l’air ambiant.
Son oreille fut attirée par le crépitement du feu dans la cheminée, le bois n’avait pas totalement brûlé, signe qu’il venait d’y être mis.
« – Allons mademoiselle, asseyez – vous. »
Ce n’était pas Albert qui avait prononcé ces mots.
Ses pupilles bleutées se mirent à se mouvoir à la recherche de la voix qui venait de s’exprimer, la forçant à se tourner pour faire face à William.
Elle avait été tellement occupée à décortiquer la pièce qu’elle n’avait pas fait attention au jeune homme assis sur le rebord de la fenêtre derrière elle.
Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre celui qui s’était permis d’entrer dans la salle de bains sans invitation. Ses joues s’empourprèrent légèrement mais elle ne bougea pas pour autant, restant debout face à lui.
« – Je vous remercie de votre hospitalité mais …, commença – t – elle à dire.
– Mademoiselle Shae, dit William en gardant son sourire, asseyez – vous car croyez-moi vous n’irez nulle part. »
Les mots avaient été dits avec une douceur glaciale, le genre à vous faire obéir sans même vous en rendre compte. Shae s’était donc assise dans le fauteuil et, comme s’il se voulait liseur de pensées, William poursuivit :
« – Vous avez simplement échangé une prison poisseuse pour une cage dorée. J’aimerais pouvoir vous dire que vous en sortirez mais malheureusement, je crains que seule la mort vous soit libératrice. »
La jeune fille ne le quittait pas des yeux, essayant de comprendre chacun des mots que le jeune homme venait de prononcer, tentant d’en donner un sens moins irréel.
Prisonnière, elle ?! Et pour quel motif ?! Pour qui se prenait ce noble bouffi d’orgueil pour penser qu’il allait pouvoir la garder ici contre son gré ?! Qu’est – ce qui dans ses actes d’hier et d’aujourd’hui ont pu leur laisser penser qu’ils avaient une quelconque légitimité sur sa vie ?!
Shae se leva d’un geste brusque sous le regard inexpressif de William, tapant violemment de la main la table ce qui fit trembler les tasses légèrement.
« – Non mais vous vous prenez pour qui ?!
– William James Moriarty, lui dit-il avec son air serein qu’elle méprisait à chaque seconde que Dieu faisait.
– Eh bien, « William James Moriarty« , dit – elle en faisant mine de l’imiter, vous n’avez aucun droit sur ma personne. Me suis – je bien fait comprendre ou dois – je vous l’expliquer d’une tout autre manière ?
– C’est limpide. »
William se pencha en avant, saisissant une tasse de thé avant de se redresser et la porter à ses lèvres, ses yeux se plongeant dans ceux de Shae, bouillonnante de colère.
Les yeux de William, qui pourtant continuait d’arborer son air serein, se voulaient menaçants et dépourvurent Shae de toute combativité.
La jeune fille eut un mouvement de recul pendant qu’un souvenir vint la frapper de plein fouet.
Elle le voyait s’accroupir devant elle, posant sur ses épaules la veste de son costume, ignorant le petit tressautement de surprise de la jeune fille puis sans qu’il ne la prévienne, il la souleva de terre pour la porter entre ses bras qu’elle trouva étonnement fort pour qu’il semblait fébrile.
L’autre frère était également là, silencieux, marchant à leurs côtés pendant qu’ils remontaient vers ce qui lui avait semblé un signe de liberté. Et puis, une voix leur parvient de derrière, enfin un murmure rempli de honte et de soulagement à la fois :
« Monsieur Moriarty … »
Sans tenir compte de la présence de la jeune fille, William s’était tourné pour faire face à la personne qui l’avait quémandé. Il s’agissait de Éden qui avait terminé d’obtenir vengeance pour son fils souillé.
Shae avait serré sa poigne sur la chemise de Will en se retenant de pousser un cri d’effroi face à ce spectacle, préférant enfoncer son visage dans le cou du jeune homme pour ne pas avoir à observer ce spectacle plus longtemps.
Une paire de ciseaux ensanglantée dans ses mains également entachée, Éden fixait le sol d’un regard vide.
« – Éden, avait dit Will en avançant vers lui »
Comme se réveillant d’un rêve éveillé, l’homme levant les yeux vers lui. Le jeune noble lui tendit un mouchoir qu’il saisit, toujours sans lâcher Shae.
« – Allons…
– Qui est – ce ? avait demandé Éden en prenant le mouchoir et en s’essuyant les mains
– Un imprévu dont nous nous occupons, lui répondit William en s’éloignant pour laisser à Louis le soin de prendre les ciseaux des mains du père. »
William avança avec Shae entre ses bras avant de la poser à quelques centimètres de lui, à même le sol. Shae le tint quelques instants mais au sourire rassurant du jeune homme lâcha sa poigne pour le suivre du regard.
Il avait avancé vers une mare de sang, restant immobile en regardant dans la pénombre. Shae se souvient s’être rapprocher à quatre pattes discrètement derrière pour voir un peu mieux.
Ah, que la curiosité est un vilain défaut.
Shae avait poussé un cri, ses mains venaient s’apposer sur sa bouche pendant que ses yeux ne pouvaient se détacher de la forme désormais difforme qui jonchaient le sol et qui fut jadis, le comte d’Aglerton.
Son visage avait été lacéré, un sourire éternel gravé à coup de lames.
De son costume, il ne restait plus qu’un amas de tissu sans réelle forme. Son corps avait été poignardé de nombreuses fois et la jeune fille crut même pouvoir discerner certains de ses organes comme si un médecin était passé par là pour faire une opération à cœur ouvert. Il avait été vidé comme un porc que l’on égorge pour les fêtes.
Un haut – le – cœur la saisit pendant que William fermait lentement les portes de ce lieu de perdition.
La jeune fille se souvenu avoir continuellement reculé sur son fessier, par la suite, pendant qu’il tentait de la saisir jusqu’à ce qu’elle bute contre une pierre tombale. Elle n’avait plus de force, plus d’espoir et serait probablement la prochaine victime de cet être qui, malgré ses allures d’ange, était le diable personnifié.
Il avait tendu la main vers elle et ensuite, le noir complet.
Sûrement l’avait – il assommé pour avoir la paix ou alors s’était-elle évanoui tant la peur et le dégoût qu’elle avait ressentie furent puissants.
Un frisson de terreur se fit un chemin dans l’entièreté du corps de la jeune fille tandis que ses yeux se posaient sur William qui, désormais à quelques centimètres d’elle, venait de saisir une de ses mèches de cheveux pour la humer.
Elle ne s’était pas rendu compte que sous le flot de souvenirs, elle s’était laissé tomber à genoux à même le sol, les yeux larmoyants et le corps tremblant.
La voix du jeune homme fut un murmure qui l’acheva :
« Veuillez me pardonner que votre vie vous soit ainsi arraché mais voyez – vous je crains que cette fois je ne puisse vous libérer. Vous serez nourrie et logée tant que vous vous montrez docile. »
Comme un réflexe de survie, la bouche de Shae s’ouvrit dans une ultime attaque de désespoir. Comme si cela devenait prévisible, William, agacé, saisit le visage de la jeune fille et la plaqua brutalement au sol tout en serrant sa poigne pour lui bloquer tout moyen de se mouvoir.
« – Continuez à vous montrer réfractaire et je n’aurais pas d’autres choix que de satisfaire le désir de mon frère de vous voir entre quatre planches. »
Le sourire et la douceur avait laissé place à une indifférence et une froideur sans pareille.
William regardait les larmes couler de ses joues, sa bouche toujours bloquée par les mains du jeune homme. Il était exténué, il avait besoin de repos et surtout d’être loin d’elle pour récupérer ses forces. Aussi, lâcha – t – il sa poigne tout en se relevant, laissant la jeune fille à même le sol, seule et désemparée.
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NDA :
Et voilà, notre Shae a enfin eu une vraie discussion avec les frères Moriarty
Je ne sais pas vous mais l’image du comte hante mon esprit ~bruuuh
Qu’est – ce qui attend donc notre ingénue ? William semble montré également son vrai visage
A la semaine prochaine dans To Be Mine !
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