Albert pénétra dans le petit salon en fermant derrière lui.
Il resta quelques instants silencieux avant de regarder tour à tour ses frères qui se maintenaient dans un mutisme lourd de sens.
Ils attendaient son feu vert, ou plutôt simplement qu’il leur confirme qu’aucune oreille indiscrète ne trainait dans le coin ; aussi dit-il tout en s’asseyant dans le grand canapé :
« Elle prend son bain. Bien, alors dites-moi, qu’est-ce que l’on va faire d’elle ? En toute franchise, elle ne m’inspire pas confiance, au moindre pied dehors, je la vois hurler à l’assassin, répondit Albert en saisissant entre ses doigts un petit biscuit dans une des assiettes ornant la table basse.
– Je pense qu’elle doit se dire exactement pareil de nous, dit Will en portant une tasse de thé à ses lèvres, pensif.
– Je suis pour qu’on s’en débarrasse, dit alors Louis sèchement en regardant la pluie tomber par la fenêtre.
– Non. »
Le silence, qui fit suite à la réponse catégorique de William, fut le messager des airs choqués qu’affichaient ses frères pendant que les gouttes de pluie, venant s’écraser contre la vitre de manière insolente, continuaient à faire un bruit effroyable.
Louis avait fait volte-face afin de plonger ses yeux dans ceux de son frère.
Il comprit immédiatement qu’il n’y aurait pas de débat, sa décision était prise et se voulait irrévocable.
Du plus loin qu’il se souvînt, il n’avait jamais remis en question aucune des décisions de son frère. Quand il décida de devenir consultant du crime, quand il acceptait une mission au nom de cette liberté tant désirée, quand il décidait qui se devait de vivre ou de mourir… Il n’avait jamais trouvé à redire, car il savait que rien ne pourrait les arrêter, mais là…
Cette fille respirait une fragilité dangereuse dont ils devaient s’éloigner.
Le jeune homme le sentait dans chaque parcelle de sa peau et cela n’avait rien à voir avec la vision de sa peau laiteuse au clair de lune ni avec son air innocent tandis qu’elle se serrait contre son frère en quête de chaleur dans le froid automnal.
Non, Louis l’avait vu dans son regard. Elle les mènerait à leur perte, cette petite chose fébrile qui ne semblait pas connaître ses propres limites.
Le benjamin finit par serrer les dents avant de s’exclamer :
« Es-tu devenu complètement inconscient, Will ?! As-tu oublié que nous avions un objectif et que la garder ici serait clairement une raison suffisante de tout voir gâcher !
– Notre cible principale est la noblesse, pas elle… Cependant je suis entièrement d’accord avec Albert, nous ne pouvons pas la libérer dans la nature. Cela serait préjudiciable pour nous, aussi la garder ici me parait l’unique option, dit Will.
– C’est insensé ! Nous n’avons jamais hésité à tuer les gens dès l’instant où ils représentaient une gêne et maintenant tu veux faire des préférences ?! »
Louis se mit à faire les cent pas dans la pièce principale afin de se calmer tout en essayant de comprendre quelle mouche pouvait bien piquer son frère pour oublier d’utiliser cette logique qui lui était si précieuse. Il n’était pas très complexe de comprendre que comme 1+1 = 2, cette fille était synonyme de perdition.
Will, quant à lui, garda les yeux fixés sur lui quelques instants avant de les fermer et prendre une grande inspiration.
Il avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.
Il savait pertinemment qu’il n’y arriverait pas entre les marmonnements de Louis et les regards lourds de sous-entendus d’Albert. Et pourtant, il le fallait, car malgré son ascendant sur Louis, il ne fallait pas se leurrer : son frère avait probablement raison.
Will se sentait épuisé, dépourvu de sa capacité de réfléchir depuis le moment où il avait retrouvé cette jeune fille au sein de ce cloaque où on l’avait maintenu pendant si longtemps.
D’ailleurs, combien de temps avait-elle été retenue dans ce trou à rat ?
S’il se basait sur la mort présumée du jeune sans-abri qui avait eu lieu, il y a de cela un mois, et qu’il supposait qu’elle était arrivée aux mêmes déductions que lui à la vitesse d’un être humain normal soit environ une semaine. Cela signifiait que cette petite poupée de chair avait été séquestrée pendant au minimum trois semaines.
Trois semaines sans voir la lumière du jour, sans avoir de réels indicateurs du temps qui s’écoule hormis les visites de ses geôliers. Il la voyait encore à même le sol pendant qu’elle suppliait pour une rédemption qui se voulait bien capricieuse.
William s’était rapproché d’elle, éclairant un peu plus la jeune fille pour discerner ses traits.
« Où est la clé ? »
Elle n’avait pas répondu.
Probablement que le visage d’un nouveau mâle l’avait perturbé voire pousser de nouveau à la méfiance. Elle s’était retournée dans son mutisme et recroquevillée dans la pénombre. Will ne s’était pas laissé abattre, il n’y avait que deux hommes qui avaient eu accès à ces lieux, aussi était-il remonté en courant, laissant la jeune fille seule.
« Où est le garde ? »
Pour simple réponse, Louis avait montré une forme difforme un peu plus loin qui jonchait non loin d’un trou fraichement creusé. William courut avant de retourner le cadavre du pied sans aucun réel ménagement, fouillant ses poches, il récupéra le trousseau de clés avant de regarder l’homme qui s’était fait le messager de la Mort.
Qui aurait pu penser, en voyant ce corps dont la peau avait été disséquée, qu’il fut jadis humain. Louis avait vraiment effectué un travail d’orfèvre comme toujours. Il aimait à se dire que son frère était le révélateur des âmes, réussissant à démontrer que tous les démons avaient réellement quitté les enfers pour venir se cacher sur Terre.
Il n’en manquait plus qu’un et toute cette mascarade serait derrière eux. Le jeune homme secoua la tête afin de mettre cette idée de côté avant de passer près de son frère et dire :
« Louis, suis-moi. »
Louis acquiesça en suivant son frère, dévalant les escaliers de ce lieu immonde qui lui donnait des haut-le-cœur. William confia la bougie à son frère avant de s’approcher lentement de l’inconnue qui n’avait toujours pas bougé, le regard suivant chacun de ses mouvements.
Il finit par tendre la main afin de saisir les chaines qui entravaient la jeune fille, essayant de trouver la serrure.
« William ! Attention !
– Ne bouge pas, avait-il chuchoté comme s’il faisait désormais face à un féroce prédateur. »
William n’avait pas grimacé quand les dents de la jeune fille s’étaient plantées dans la chair de sa main qu’il lui tendait, qu’elle avait serré sa mâchoire comme pour prévenir qu’elle avait encore assez de force pour se défendre.
Décidément, malgré les traitements qu’elle avait subis, elle avait assez de courage pour encore jouer les chiennes sauvages ?
Il avait plongé son regard dans celui de Shae, un sourire léger sur les lèvres, avant de dire :
« C’est Stan qui m’envoie. Tu le connais, n’est-ce pas ? »
Comme s’il venait de dire les mots magiques, William fut délivré de son emprise. Un filet de bave et de sang vint se briser lentement pendant qu’elle éloignait ses lèvres rosées pour le regarder lui rendre la pareille. Elle était restée à genoux face à lui, le fixant comme un animal que l’on venait d’apprivoiser en agitant simplement une friandise sous son museau.
Qu’elle était belle, là, à sa merci.
Il se souvient s’être accroupi à sa hauteur, retirant sa veste pour venir la mettre sur ses épaules avant de la soulever de terre et se tourner vers son frère qui, silencieux, ne semblait pas tout comprendre.
Et puis….
« Aaaaaargh ! »
Will ouvrit les yeux brutalement en levant la tête vers le plafond. Un cri à vous glacer le sang venait de déchirer le silence interne du jeune homme.
Avant que Louis ou Alfred ait pu lui dire quoi que ce soit, William avait déjà dévalé les escaliers, poussé par la force d’Archimède ou peut-être par sa simple impulsion et avait ouvert la porte de la salle de bains pour faire face à l’inconnue qui, nue comme un ver dans son bain, le regardait de ses yeux océans larmoyants.
Il n’avait pas réfléchi, son souffle saccadé et son regard impudique le disaient clairement, il s’était purement et simplement laissé contrôler par ses émotions…
« Shae, vous allez… bien ? »
Les lèvres rosées de la jeune fille s’ouvrirent, mais aucun son n’en sortit.
Qui était ce jeune homme blond au regard couleur sang qui lui faisait face. Pourquoi la regardait-il avec un air inquiet sur le visage ? Pourquoi était-il entré ainsi sans crier gare ? Était-ce un des frères ? Pourquoi ne se souvenait-elle pas de lui ? Ou peut-être ne le souhaitait-elle pas ?
« Tu pousses le bouchon un peu trop loin, William. »
La jeune fille posa son regard sur l’homme qui rentrait dans la pièce à son tour, une serviette dans la main qu’il vint jeter à la figure de Shae tout en tirant son frère par la manche pour l’intimer de sortir.
Elle sembla brutalement se rappeler son état physique et rougit tout en venant apposer ses mains sur sa poitrine comme si elles suffisaient à cacher sa nudité puis vint s’enrouler dans la serviette qui s’humidifiait au contact de l’eau.
Bien inutile cette serviette, pensa Louis qui poussa un soupir tout en détournant les yeux et pousser son frère à faire de même en ajoutant :
« Nous vous attendrons en bas, veuillez-vous habiller. »
Louis regarda Shae une dernière fois puis claqua la porte.
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Je ne sais pas vous mais je sens que la relation Louis/Shae sera explosive, non ?
Notre petit Will donne enfin sa version des faits dans un épisode où l’intellect n’a pas sa place.
Qu’auriez – vous fait à la place de Louis, Will & Albert ?
Donnez – vos avis & impressions sur ce nouveau chapitre, n’hésitez pas à le partager
Je vous dis à la semaine prochaine pour un nouvel épisode de To Be Mine ❤️
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