« Voici votre siège, Monsieur. Souhaitez-vous que je vous amène de quoi vous sustenter ?
Un thé fera parfaitement l’affaire.
Bien, Monsieur. »
Le serveur fit une légère révérence avant de laisser William s’installer à sa table. S’asseyant sur le siège en velours, il balaie rapidement la pièce du regard avant de sortir un livre pour feindre un besoin de tranquillité littéraire.
Ses yeux se lèvent parfois des lignes complètement ennuyeuses de son livre mais ce n’est pas tant la décoration qui retient l’attention de notre cher William. Il n’avait que peu d’intérêt pour la vanité visible de l’endroit.
Que pouvait-il en avoir à faire des moulures faites au mur ou encore de la douceur du tissu sur lequel se trouvait maintenant son postérieur ? Un rideau ne fut-il pas mis là afin de protéger du soleil ? Une chaise n’était-elle pas faite, en premier lieu, pour s’asseoir et une table pour poser des objets ? Pourquoi devrait-il y accorder davantage d’intérêt quand l’utilité principale de ces choses était évidente et que sa proie était si proche.
Oh oui, le sang frais l’émoustille au plus haut point.
Des nobles discutent d’affaires d’état, un verre de vin comme accompagnement, en se demandant où pouvait bien aller leur intérêt dans les prochaines réformes de sa Majesté.
La peur de la dégringolade sociale semble les tenir et la saison parlementaire n’avait même pas encore toqué à leurs portes.
D’autres, plus discrets, préfèrent siroter un thé en lisant un livre ou le journal tout en échangeant parfois quelques mots avec leur voisin de table sur les dernières actualités de l’Observer.
Son regard se pose sur l’unique fenêtre qui donne sur l’extérieur.
Devant elle, on pouvait y voir un homme seul, assis. La tête, inexorablement tournée vers l’extérieur, un air pensif sur le visage. Parfois, sa main approche sa cigarette de ses lèvres pour en inhaler quelques bouffées avant de tout laisser ressortir dans un halo de fumée.
Au moment où il allait se lever, le serveur lui ramena sa commande longtemps oubliée par le jeune homme.
« Veuillez nous pardonner pour l’attente. Puis-je faire autre chose dans le but de vous satisfaire, Milord ?
– Merci bien. Dites-moi, qui est l’homme près de la fenêtre ? demande Will en buvant une gorgée de thé.
– Ah, il s’agit du comte Argleton, répond le serveur en posant son regard sur l’homme au loin. Il est l’un des pères fondateurs de notre club, m’a-t-on dit.
– Est-ce que ce siège lui est réservé ?
– Non, pas à ma connaissance. Mais il y est relativement souvent, oui.
– Je vois, merci. »
William plisse légèrement les yeux, esquissant un léger rictus avant de fermer son ouvrage. Ah , le petit personnel est toujours à la pointe de l’information, les yeux de ce monde. Il suffit de poser la question adéquate et il vous offre votre proie sur un plateau d’argent.
Ne pas montrer trop d’excitation.
Il attend quelques instants puis se lève de son siège, son livre et sa tasse de thé à la main, afin de se diriger vers la place vacante face au fameux Argleton.
Une fois installé, il sourit avant de dire :
« Comte Argleton, ravi de vous rencontrer. Je me présente, William James Moriarty.
– Que me voulez-vous ? demande sèchement le noble en portant sa cigarette à sa bouche sans lâcher le jeune homme des yeux.
– Eh bien, rien de particulier, commence William, vous sembliez vous ennuyer un peu. Je me suis donc permis de venir discuter avec vous.
– Il ne fallait pas vous donner cette peine… »
Le jeune noble ne perd en rien son sourire, faisant mine de ne pas s’apercevoir du ton dédaigneux de l’homme qui semblait légèrement agacé d’avoir été sorti de sa rêverie.
« Vos habits ont été faits chez Eden, n’est-ce pas ? Et cette bague, malgré son design élaboré ne vient-elle pas de la bijouterie Golden Stein ? »
Le comte affiche un visage surpris puis détendu.
Il pense que William devait être un de ces jeunes dandys friands de belles choses ou alors un très bon analyste.
Se laisser aller à la discussion ne serait pas si mal au fond.
« Quel sens de l’observation, mon cher. On dirait un vrai détective.
– Je peux continuer, dit notre ami en s’enfonçant dans son siège. Votre montre vient de l’horloger Masters, n’est-ce pas ?
– Incroyable ! Ma montre à gousset est rangée, comment l’avez-vous su ?
– Je sais que votre chapeau vient de l’échoppe des frères Morgan et que votre cheval réside aux écuries Shannon. »
Les yeux du comte s’écarquillent.
Comment cet arriviste pouvait-il avoir autant d’informations à son sujet et surtout qu’est-ce que cela signifiait ?
Était-il de la police ? Ces incapables de Scotland Yard avaient-ils fini par trouver un détail pour l’incriminer ?
Non, il s’était assuré que rien ne puisse les faire remonter jusqu’à lui. De la chasse à la dégustation, rien n’indiquait qu’il était l’auteur de ces actes, tout cela tient de la pure coïncidence.
Ne pas montrer ses émotions, voilà la clef pour ne pas flancher.
Comme si William lisait dans ses pensées, il finit par dire sur un ton très calme tout en portant son regard vers l’extérieur :
« Et enfin, vous semblez apprécier la douce mélodie du concertina. »
Il laisse le silence s’installer entre eux pendant que les notes stridentes de l’instrument de Stan remontent jusqu’à eux.
L’adolescent essayait de donner un sens à ses notes, se dandinant de gauche à droite pour imposer un semblant de rythme. Après tout, vu le salaire que William allait lui verser à la fin de cette prestation, il pouvait bien faire un effort.
Le regard du comte se détourne de l’adolescent avant de venir se poser sur son bourreau, une supplication silencieuse d’en rester là brillait dans son regard. Cependant, William jugea qu’il était temps d’asséner le coup de grâce à sa proie qui semblait déjà au bord du précipice.
C’est ainsi qu’il se rapprocha un peu, assez pour chuchoter :
« Vous aimez la viande de levraut, non ? Une chair encore jeune, tendre et particulièrement juteuse…Vous appréciez la savourer en prenant tout votre temps. »
La fumée qui stagnait dans la pièce semblait tenir le comte à la gorge, le faisant manquer légèrement d’air.
« Je crains que les jeux de cartes ne soient pas votre fort. On lit en vous comme dans un livre ouvert. »
Il était désormais évident que cet opportuniste le mettait face à ses crimes et qu’il allait devoir trouver une solution rapidement pour pouvoir s’en sortir sans accroc.
Défiguré par la peur qui s’emparait de son être, le comte avait beau réfléchir, rien ne semblait pouvoir résoudre ce problème aux cheveux blonds.
Il finit par se lever de son siège, se raclant la gorge en arrangeant son veston et dit :
« Je dois m’en aller, j’ai des choses à faire. Il fut plaisant de discuter en votre compagnie. »
D’un pas hâtif, le comte s’en alla sentant tout du long le regard du jeune homme dans son dos.
William reste quelques instants silencieux, jetant un nouveau coup d’œil vers l’extérieur.
Stan avait fini par arrêter de jouer, prenant entre les mains d’un individu enchapeauté une bourse de pièces d’argent. Une révérence et il n’était plus qu’un lointain souvenir.
« Autre chose Monsieur ? demande le serveur pendant qu’il débarrassa la tasse désormais vide de William.
– Non, je vais y aller. »
Pour accompagner ses mots, William se lève afin de se diriger également vers la sortie. Maintenant que la cible était pleinement identifiée, il lui fallait trouver un plan d’action qui lui permettrait de régler tout cela sans accroc.
Il marche quelques instants dans les ruelles de Londres, le visage dépourvu d’expression. Le jeune homme se questionne sur les prochains mouvements de ce noble dont l’orgueil venait d’être mis à rude épreuve. Cela n’avait pas dû être simple de garder son sang – froid encore moins de ne pas sauter à sa gorge. Jusqu’à maintenant il s’était montré assez intelligent, peut être le surprendrait – il. Au moment où cette idée traversa son esprit, Will prit conscience que la contre-attaque du comte avait déjà été lancé et poussa un soupir d’agacement.
Son adversaire était si prévisible qu’il trouvait cela presque ennuyeux. Avoir recourt à ses hommes de mains pour effectuer la sale besogne, c’était d’un primaire. William se sent presque régressé mentalement, se disant qu’il aurait dû y penser à cette manie qu’ont les nobles d’être assistés dans chacun de leurs mouvements.
Sans pour autant accélérer le pas, il tendit l’oreille. Cela devait déjà faire cinq bonnes minutes que l’homme le suivait sans essayer d’être un minimum discret.
Son pas était lourd, son souffle rauque et il semblait dépourvu de toute finesse. Ne fait-on donc plus de personnel un minimum compétent ? La discrétion serait-elle devenue un luxe que l’on ignore ?
C’est au détour d’une ruelle que William disparu des radars de son poursuivant qui, surpris, émit un léger grognement. Il avance vers ce qui ressemblait à un cul-de-sac puis regarde à gauche et à droite pour comprendre comment ce navet avait bien pu le semer.
Une proie ne lui échappait jamais.
Le tintement de la canne contre l’une des briques fait se tourner le domestique vers un William dont le visage jusque-là inexpressif affichait désormais un sourire calme non sans qu’une tension pèse dans l’air.
« Me suis-tu pour m’espionner ou bien es-tu ici pour m’éliminer ? »
Le chasseur qui se sentait désormais proie, serre les dents et les poings à la recherche d’une solution quant à son échappatoire.
William reste bien au milieu de la seule issue. Il le regarde de haut en bas avant de poursuivre son monologue :
« Tu as l’habitude des tâches ingrates mais tu manques de jugeote. S’en prendre à moi est bien plus difficile que de kidnapper des enfants sans défense. »
L’homme affichait un air surpris, son pied reculant machinalement pour mieux prendre son élan.
« Comme ton maître, le mensonge n’est pas ton fort. »
Dans une impulsion de détermination, le domestique du comte commence à foncer vers le jeune homme, prêt à en découdre.
Avant qu’il n’ait pu faire un pas de plus, Louis se laisse tomber du muret qui surplombe la ruelle, venant se positionner derrière lui. Une main armée sous sa gorge délicate. L’homme semble si surpris qu’il resta docilement immobile, perdre la vie pour son maître n’était pas dans son contrat semble-t-il.
Le problème avec les hommes de mains, se met à penser Will, c’est qu’on peut toujours avoir un coup d’avance sur eux. Il se frotte l’arête du nez puis repose son regard sur l’homme. Il avait perdu son éternel sourire pour laisser place à un visage fermé, il dit alors beaucoup plus sèchement :
« J’ai de nombreuses choses à te demander, pourrais-tu me suivre ? »
La nuit est désormais tombée sur Londres.
Un brouillard épais envahit ses rues, lui donnant un air faussement macabre. Pas un chat dehors, pas même une ombre. Il semble que Londres se soit endormie avec les derniers rayons du soleil, laissant place à une lune moqueuse.
Une calèche, dont les chevaux sont lancés au galop, brise le silence. Le conducteur, vêtu de manière élégante, s’en va retrouver la Mort, sa promise.
Rien ne laisse transparaître son visage, seuls ses yeux d’un rouge écarlate, brillent tels des rubis dans la noirceur nocturne. Sa dulcinée, elle, se délecte déjà de sa venue tout en se demandant quels nouveaux présents ce gentilhomme peut bien lui ramener cette fois – ci.
C’est à Kensal Green qu’il finit par arrêter sa course folle.
Descendant de son siège, il saisit le bouquet de rose rouge qu’il a spécialement acheté pour l’occasion avant de mettre son haut-de-forme sur sa tignasse blonde et avancer dans les allées du cimetière. Il marcha quelques minutes jusqu’au tréfond de ce lieu de mort avant de s’arrêter et que ses yeux viennent se poser sur la statue située non loin d’une petite chapelle. C’était une petite maison faite en pierre où, autrefois, était célébré les obsèques des défunts. Avec l’arrivée des grandes cathédrales, elle fut fermée et laissé à l’abandon.
L’archange semblait le regarder en implorant qu’il purifie les lieux de la souillure qui s’y trouve. Eh bien, ainsi soit-il. Il avance lentement puis dans une inspiration pousse les portes de la chapelle afin de faire face à l’homme encapuchonné et ligoté.
Il lui retire le sac qu’il a sur la tête avant de l’observer, silencieusement, une soif de sang brillant dans le regard. Le prisonnier se dandine de gauche à droite afin d’essayer de s’extirper des liens qui semblent se resserrer à chacun de ses mouvements.
William finit par afficher un sourire des plus doux avant de déclarer :
« Comte Argleton, pour vous recevoir ici j’ai dû utiliser la force, je m’en excuse. Cependant, il y a quelqu’un qui voulait absolument s’entretenir avec vous. »
Pour accompagner ses mots, William s’écarte légèrement afin de laisser entrer un homme. Retirant son chapeau, il lève la tête en posant ses pupilles bleues sur sa proie.
« Cela faisait longtemps M. le comte. »
En le voyant, le comte se figea sur place, hypnotisé par l’air inexpressif de son interlocuteur.
Il s’agissait de Eden, le tailleur et père de la sixième victime.
Ce dernier avait fait appel à William pour l’aider à trouver le monstre qui l’avait privé de son bien-aimé fils unique. Malgré les avertissements du jeune homme quant au fait que ce qu’il demandait était considéré comme un crime dans ce monde tordu, il n’en démordait pas, s’étant juré de venger son fils peu importait le prix. Aussi, en bon consultant du crime, William avait accepté sa requête en échange de sa vie.
« Faites vite. Vous avez le temps d’une cigarette. »
William jette un dernier regard au comte qui se débattait de toute ses forces sur sa chaise avant de sortir vers l’extérieur, non sans oublier de fermer la porte. Les cris du comte lui parvinrent quelques instants après puis s’atténuèrent petit à petit pour de nouveau laisser place au silence.
Le jeune homme s’allume une cigarette avant de lever la tête afin de regarder la Mort s’en aller avec les cadeaux tant promis. Les cloches de Londres se mettent à sonner au même instant comme pour le féliciter de son acte.
Une nuée de corbeaux accompagne le cortège funeste vers le royaume des morts tandis que William tire une nouvelle bouffée de nicotine avant de laisser tomber son mégot et l’écraser du pied. Il est temps d’y retourner.
Il marcha quelques instants avant que son pied ne bute sur une difformité. En baissant le regard, il fut surpris d’y voir une trappe mal fermée. Le jeune homme s’accroupit pour la soulever d’un geste lent avant de dévoiler un escalier menant à un passage souterrain.
« Tiens, tiens. »
Il avait entendu parler de ses tunnels souterrains construit pour aider les familles nobles à s’enfuir de leur demeure principale s’ils jugeaient cela nécessaire. C’était donc ainsi que le comte Argleton faisait ses aller-retours entre sa demeure et le cimetière sans que personne ne se doute un instant qu’il soit lié à ses atrocités. Tout avait finalement une explication logique. Enfin, ce passage serait bientôt oublié comme son propriétaire d’ailleurs.
Le jeune homme s’en allait refermer l’entrée quand une voix faible se fit entendre :
« Je vous en prie… »
William leva la tête afin de regarder autour de lui, il n’y avait personne d’autre que lui et pourtant les supplications continuaient entre deux sanglots étouffés. Le jeune homme baissa ses yeux sur la trappe et comprit assez rapidement que ces complaintes venaient des souterrains.
« – Louis. »
Le jeune frère sortit de derrière la chapelle et approcha avant de dire :
« – Oui grand frère ?
– Je descends, surveille l’entrée veux – tu ?
– Tu…Tu es sur que ce n’est pas dangereux ? demanda – t – il en arquant légèrement un sourcil.
– Nous le serons bien assez tôt. »
Il poussa un soupir comme s’insuffler du courage avant de descendre lentement l’escalier, sortant son pistolet comme précaution. Il arriva assez rapidement jusqu’à la fin de ses marches interminables.
Une fois ses yeux s’étant acclimatés à l’obscurité, il observa les lieux. Des objets ensanglantés jonchaient au sol ainsi que des restes de nourriture, proche de la bouillie que l’on sert aux malades sur leur lit de mort. Il semblerait qu’ils aient essayé d’apprivoiser ou peut-être d’engrosser leur animal captif, en vain.
« Je n’ai fait aucun mal… Je vous en prie. »
Une femme ?
Il baissa progressivement son arme, tout en continuant de tâtonner dans l’immensité des lieux. Personne n’avait parlé de femme dans les victimes du comte ou alors personne n’en avait eu vent. En même temps, il aurait fallu que l’on retrouve son corps et celle là semblait bien vivante.
Était-ce parce qu’elle était une femme qu’elle avait subi un sort moins funeste que les adolescents ?
Il finit par l’apercevoir, recroquevillée dans un coin dans une des pièces sans fenêtre des souterrains.
Enchaînée par les mains et les pieds, ses longs cheveux blonds viraient presque au gris, tant ils semblaient briller comme mille étoiles et tombaient en cascade le long de ses épaules pour mourir au niveau de ses hanches. Sa peau, malgré les signes flagrants de leur perversion, se voulait immaculée de toute imperfection.
Il laisse tomber son pistoler au sol, avance de quelques pas et s’approche assez pour qu’elle décèle son visage dans la lumière mais sans pour autant lui faire peur. La jeune fille leva la tête afin de plonger son regard couleur océan dans les yeux écarlates de William sans dire un mot.
« De quel Eden t’ont-ils arrachée… ? »
____________________________
Les dés en sont jetés, qui est d’après vous cette inconnue que William vient de trouver?
Un danger ou une future alliée à sa cause ?
Donnez moi vos impressions && avis ,
Je vous dis à la semaine prochaine pour un nouvel épisode de #TBM
Update : Voici une petite sneak peek de la rencontre Shae & Will de ce chapitre ~
0 commentaires