Plusieurs jours passèrent après la Tea Party et les adieux étaient désormais de mise, aussi nos quatre amis avaient-ils décidé d’accompagner le couple Barton au train pour Londres.
« Avec cette recommandation, vous devriez aisément être engagé au Queen Mary’s Gardens, dit Albert en souriant.
– Je ne sais vraiment pas comment vous remercier de votre aide, déclara Monsieur Barton en retirant sa casquette comme signe de respect à son intention.
– Ce n’est rien, inutile de nous remercier, ajouta docilement Louis.
– En effet, poursuivit William, tout cela, vous l’avez fait de vos propres mains. »
Semblant soudainement prendre conscience de la situation, le couple les fixa d’un air choqué avant que Michelle ne vienne tenir le bras de son mari. Barton tourna alors son regard vers sa femme.
Un discours silencieux se fit entre eux, il était clair que cet événement était la fin d’un chapitre mais marquerait à jamais leur existence. Cependant, il n’avait nulle crainte à avoir, ils seraient ensemble face à tout cela. Michelle adressa un sourire chaleureux à son époux avant qu’ils ne se tournent de nouveau tous les deux vers leurs bienfaiteurs et s’inclinent en guise de remerciement et de respect.
Shae, restée en retrait jusque – là, ne put s’empêcher de venir enlacer Michelle, frottant sa joue contre la sienne avant de lui dire :
« Tu m’écriras ?
– Tu viendras me rendre visite quand vous reviendrez à Londres ? demande Michelle en guise d’ultimatum.
– Avec plaisir, répondit Shae en souriant.
– Ô, et n’abuse pas des fraises où tes joues vont devenir aussi rouges que celle d’une poupée de porcelaine, se moqua Michelle en venant poser un baiser sur chacune d’elles. »
Les jeunes filles rirent en chœur puis Shae recula afin de laisser monter le couple à bord du train qui annonçait déjà le départ. Shae marcha le long du train, regardant le couple se frayer un chemin à travers les gens rejoignant leur wagon.
Une fois les portes correctement fermées, le train émit un bruit sourd avant de commencer à quitter la gare de Durham, forçant la jeune fille à courir pour ne pas perdre ses amis de vue.
« J’espère que tout ira bien pour eux, finit par dire Louis en regardant le train s’éloigner petit à petit suivi par Shae qui les saluait de la main depuis le bout du quai.
– Partager le poids d’un même péché a créé un lien indéfectible, tout se passera bien pour eux, répondit William en semblant légèrement songeur. »
Quand le train ne fut plus qu’un souvenir fumant à l’horizon, Shae se tourna vers les trois jeunes hommes avant de leur sourire de la manière la plus chaleureuse qui soit.
C’était la première fois qu’ils la voyaient sourire ainsi à leur intention aussi cela les surprit dans un premier temps avant qu’ils ne lui rendent la politesse.
William avait totalement raison, commettre un péché ensemble créait un lien inaliénable et désormais, elle faisait partie de leur famille et cela qu’ils le veulent ou non.
Ils allaient donc devoir apprendre à cohabiter avec cette jeune fille imprévisible.
Enfin, c’est ce qu’ils pensèrent tandis qu’elle trottinait en leur direction afin de réduire la distance puis le cadet finit par déclarer :
« Rentrons maintenant, il va se mettre à pleuvoir. »
Shae acquiesça avant de les suivre vers la calèche.
Une fois tous à bord, Louis prit les commandes et lança les chevaux au galop.
William et Albert échangèrent des mondanités sur l’actualité et sur leur récente affaire, n’ayant désormais plus de réels secrets pour la jeune fille. Quant à Shae, elle ne pouvait s’empêcher de regarder, par la fenêtre, le paysage nocturne défiguré par la pluie.
C’était presque amusant de regarder les gouttes de pluie faire la course sur le vitrail de la voiture en marche tandis que, malgré la grisaille, les rues de Durham restaient pour certaines pavées de fleurs.
Elle semblait se fasciner pour les choses futiles, elle semblait voir un monde auquel le consultant n’avait plus accès. Son innocence irradiait et c’est probablement ce qui la rendait aussi craquante aux yeux de notre prince.
Soudain la jeune fille se redressa, collant ses mains sur la vitre avant de hurler :
« Arrête la voiture, Louis ! Arrête – toi, je te dis ! »
Le benjamin tira les rennes brutalement avant de la regarder descendre de la voiture.
Il n’eut même pas le temps de la saisir par le bras qu’elle détalait droit devant elle.
« Shae !
– Quelle mouche l’a piquée ? demanda Albert en descendant à son tour de voiture suivi par William. »
Les trois frères, après s’être assurés de prendre de quoi s’abriter de la pluie, prirent le même chemin qu’elle tout en regardant la jeune fille courir vers les fondations d’un pont avant de se délester de ses chaussures et monter tel une funambule sur celles – ci.
Albert écarquilla les yeux et cria :
« Shae ! »
Ce cri eut pour effet de déstabiliser légèrement Shae qui se tint au pont avant de se redresser pour continuer à avancer.
Ils purent enfin voir l’objet de toute son attention : c’était une jeune femme aux cheveux blonds qui dansait une sorte de valse sans sembler se rendre compte d’où elle se trouvait.
Elle avançait sous la pluie en chantonnant d’une voix mélodieuse tout en faisant gauche puis droite.
Shae, une fois à sa hauteur, tendit la main vers elle tout en hurlant au vent :
« Donnez – moi votre main. Je vous en prie, donnez – la moi ! »
La jeune femme la regarda droit dans les yeux avant de sourire et lui tourner le dos.
« Les voyez – vous, vous aussi ?
– Quoi ?! dit Shae en tendant une main tremblante vers elle.
– Les ombres qui dansent…»
Ses yeux vinrent se plonger dans ceux de Shae avant que la femme ne virevolte en continuant sa sérénade. Shae essaya d’avancer mais la danseuse fit le pas de trop, basculant dans le vide sous les yeux de l’assistance.
Shae écarquilla les yeux en essayant d’attraper sa main au vol, mais en vain, la jeune fille disparut dans les eaux troubles après avoir adressé à notre amie le plus beau des sourires.
Shae resta quelques instants à fixer les eaux déchainées en quête de sa silhouette.
Mais en vain, elle ne parvenait pas à comprendre par quoi la jeune femme avait pu passer pour en arriver au stade de se donner la mort de manière aussi poétique.
Shae ferma les yeux en essayant de respirer correctement tandis que le souvenir de cette danseuse nocturne vint la refrapper de plein fouet.
Non, ce n’était pas volontaire, ce n’était pas souhaité. Il y avait quelque chose qui ne collait pas, une odeur louche sous le parquet qui rendait tout cela incompréhensible.
« Mademoiselle, descendez ! »
Shae sembla se rendre enfin compte que les gens qui, tantôt, sortaient la taverne essayaient de trouver un plan pour la déloger de là.
Où étaient – ils quand il fallait sauver cette innocente de la potence ?
Notre jeune fille sauta d’un pas élégant sur le pont boisé avant de leur jeter un regard glacial, porteur de tout son mépris, avant qu’elle ne marche jusqu’aux trois frères, tête baissée.
Albert vint abattre rapidement sur ses épaules une cape, totalement inutile compte tenu du fait qu’elle était complètement trempée, et l’incita à les suivre jusqu’à la calèche.
Shae rabattu la capuche sur sa chevelure grise en fixant ses pieds.
Malgré leurs efforts, ni William ni Albert ne parvint à lui tirer une information quant à son impulsivité et la jeune fille resta muette tout le reste du trajet.
Une fois qu’ils furent arrivés, Albert vint poser sa main sur la cuisse de Shae en disant :
« Nous sommes arrivées… »
La jeune fille descendit comme une marionnette que l’on manipule avant d’avancer abattue vers la bâtisse.
Louis la regarda faire avant de dire à l’intention de ses frères :
« Pourquoi semble – t – elle si dépitée ?
– Je crains qu’un détail nous ai échappé ce soir, dit William en soupirant. Louis, tu devrais t’occuper d’elle, je craigne qu’Albert et moi ne lui soyons d’une quelconque aide ce soir…
– Mais…, commença le benjamin.
– C’est notre « petite sœur ». Tu ne pouvais pas rester le dernier toute ta vie, répondit William en souriant. Laisse-lui une place dans ton cœur, veux– tu, en commençant par éviter qu’elle tombe malade. »
Louis leva les yeux au ciel avant d’acquiescer et de suivre ses frères à l’intérieur.
Ils prirent chacun la direction de leurs appartements respectifs afin de se changer puis Louis prit une grande inspiration avant de saisir ses huiles à la lavande et se diriger vers la chambre de la jeune fille.
Sur tout le trajet qui menai à la chambre de Shae, il repensa aux dires de William.
Leur petite sœur ? Lui laisser une place dans son cœur ?
Ils avaient tellement prononcé ce mensonge qu’ils commençaient à y croire eux – même ? Depuis qu’elle était là, les mois semblaient plus longs et sa présence à leur côté rendait instable toute leurs prises de décision.
Il était vrai qu’elle avait grandi dans les bas – fonds, comme eux, mais cela n’était pas une raison pour rendre leur travail plus complexe.
Elle faisait fi de toutes les convenances, de toutes les règles de l’étiquette, était sans pudeur et sans gêne. Elle l’énervait, elle l’irritait, elle le rendait chèvre et, bien sûr, comme ses deux frères travaillaient d’arrache-pied c’était à lui de s’occuper de cette bête sauvage.
Il avait beau cherché, il ne réussissait qu’à trouver des choses dont il avait à se plaindre.
Prenons sa manière de se vêtir par exemple : il avait passé des heures à chercher des vêtements dignes d’une princesse, de la lingerie fine et toute la panoplie de toilettes nécessaires pour que cette fille des champs devienne une fille de la noblesse, et pourtant elle continuait à porter les vêtements les plus simples en oubliant parfois de mettre des bas. Pire, elle avait cette fâcheuse manie de remonter sa robe à la vue de tous.
Il avait également remarqué que malgré tous ses efforts pour qu’elle se coiffe de manière élégante et les longues minutes qu’il avait passé à lui apprendre, elle s’obstinait à laisser sa chevelure blanchâtre voler au vent. Louis avait beau avoir pris le temps de lui expliquer que les femmes de la noblesse doivent diversifier pour s’accorder à leur tenue, rien à faire, elle laissa sa chevelure libre ou alors en faisait une queue de cheval mal tenue.
Il ne parlait même pas de son manque de pudeur face aux gens de la haute et aux gens tout courts, ses manières de garçonne manquée à ses heures perdues après tout quelle fille de la haute monte sur un arbre ou un pont sans réfléchir ?!
L’oubli de révérence, le maintien de sa langue face à certains hauts de ce monde, le rappel de sa place de femme, il y avait tant à redire et on lui disait de lui laisser une place dans sa vie ? Pire, une dans son cœur ?
Pourquoi devrait – il faire cela ? Dans quel but ? N’allait – elle pas au contraire les mettre dans une situation telle que leur plan allait tomber à l’eau à la minute où il baisserait sa garde comme tous les autres ?
« Louis ? »
Tellement perdu dans ses pensées, le jeune homme ne s’était pas vu taper à la porte de la jeune fille ou encore qu’elle vînt lui ouvrir, un air surpris sur le visage.
Il est clair qu’il était le dernier qu’elle s’attendait à voir ce soir.
Eh bien, il y avait finalement quelque chose sur qui ils étaient d’accord car il était également le dernier à penser qu’il se taperait pareille corvée après tout ce qui venait de se dérouler.
Son regard se posa sur elle.
Incorrigible, comme il le pensait, elle n’avait même pas pris de se dévêtir de ses habits trempés et ses cheveux dégoulinant le long de sa nuque montrait une négligence évidente envers sa propre personne.
De plus, elle oubliait qu’au sein de cette demeure, il n’y avait que des hommes, sortir ouvrir ainsi montrait un manque évident d’éducation.
Il soupira avant de montrer les huiles qu’il tenait dans la main avant de dire d’une voix calme :
« Puis – je ? »
En guise de réponse, Shae s’écarta du passage afin de laisser Louis pénétrer dans la pièce avant de fermer derrière lui.
Le regard du jeune homme balaya rapidement la pièce avant de se poser sur la cape jonchant sur le sol près de la fenêtre où elle avait, sans nul doute, élu résidence depuis leur arrivée.
Il se dirigea vers la baignoire et ouvrit les vannes tout en mettant les huiles de bain pour ensuite se tourner vers elle en disant :
« Il faut que tu te changes, Shae. Je vais descendre te préparer un petit quelque chose à dîner, tu devrais en profiter pour prendre un bain et te changer. »
Louis commença à se diriger vers la sortie mais se fit arrêter par une main tremblotante et peu assurée tandis que la voix de la jeune fille résonna :
« Je ne veux pas… rester toute seule. »
Quelle impudence !
Demander à un homme de rester avec elle alors qu’elle sera dans le plus simple apparat, cette fille était vraiment inconsciente !
« Je ne te demande pas de me regarder prendre mon bain, sembla lire Shae dans ses pensées, juste de rester dans la pièce et de m’écouter me plaindre. Tu peux faire ça, juste pour cette fois. »
Louis tourna son regard sur elle, tandis qu’elle détourna le sien comme gênée.
Le jeune homme soupira avant de s’asseoir à même le sol, dos à elle ainsi qu’à la baignoire avant de déclarer :
« Pas très longtemps. »
Shae regarda le jeune homme avant de mettre ses mains sur sa bouche afin de dissimuler son sourire ravi.
Des trois frères, Louis était probablement le seul que Shae ne pensait pas voir céder à un de ces caprices, aussi, ressentit – elle un léger sentiment de satisfaction.
Elle se délesta rapidement de ses vêtements pour glisser dans la baignoire en fermant l’eau coulant afin d’éviter un débordement.
Une fois à l’intérieur, un silence régna entre les deux jeunes pendant quelques instants avant que Louis finisse par le briser :
« Pourquoi ne nous as – tu pas dit pour la jeune femme ? Peut – être aurions-nous été plus rapide que toi. »
Shae laissa quelques secondes passer avant de dire d’une voix presque inaudible :
« Je craignais que vous refusiez.
Votre but est de démasquer les nobles mauvais, pas de sauver les pauvres gens en détresse. Je me suis dit en la voyant que tu n’aurais peut – être pas arrêter la voiture et que je n’aurais donc vraiment rien essayé pour la sortir de là.
– Je te sembles si insensible que cela ? demanda Louis, étonné.
– Hormis quand il s’agit de William ou d’Albert, dit Shae en levant la tête songeuse, je crois ne t’avoir jamais vu réellement sourire. Tu sembles un mur infranchissable que je ne peux affronter… J’aurais beau faire tous les efforts du monde pour coller à l’image que tu aimerais que j’arbore, je ne serais toujours que… la petite fille de catin trouvé dans un sous – sol. »
Louis se tourna assez pour croiser les yeux de Shae sans attoucher à son intimité avant de dire :
« C’est ce que tu penses ?
– Ais – je tort ? demanda Shae en venant s’appuyer sur le rebord de la baignoire.
– Je ne te vois pas comme une fille de catin trouvé dans un sous – sol, finit par avouer Louis. La vérité est que tu es si imprévisible que tu me fais peur… Je crains que, à ton contact, mon frère oublie les raisons qui nous ont mené à cet instant précis.
– Et quelles sont ses raisons ?
– La liberté des classes, l’égalité des mœurs, répondit – il sans difficulté en détournant les yeux pour fixer un point imaginaire. Nous avons toujours été d’accord sur tout mais depuis que tu es là, il est… pensif, ailleurs et j’ai peur de ce qu’il pourrait se passer si un jour il privilégiait ta sécurité plutôt que notre objectif. »
Un silence se fit de nouveau tandis que Shae se décolla du rebord pour fixer son attention sur la mousse de son bain. Elle en prit un peu entre ses mains avant de souffler dessus et ensuite s’enfonça un peu plus dans l’eau en déclarant :
« Si un jour, ce choix se présentait à lui, je te promets que je ferais tout pour que votre objectif soit atteint sans encombre. Ce monde où pauvres et riches seraient égaux sans distinction, je veux le voir moi aussi. »
Louis se tourna lentement avant de la regarder :
« Tu me le promets ? »
Shae sortit la main de l’eau avant de tendre son petit doigt vers Louis qui, après un énième soupir, finit par enrouler le sien autour.
Ce geste, très enfantin mais solennel, arracha un sourire à la jeune fille qui déclara :
« Je te le promets, Louis. Et si je déroge à ma parole, j’accepterais sans broncher ton châtiment.
– Et, dit Louis en souriant à son tour, je te promets que je ferais l’effort de trouver moins encombrante et te donner la chance d’être la petite sœur parfaite dont nous avons besoin.
– Quel honneur, ah ah ! répondit Shae en libérant la main de Louis pour se frotter le corps avec une éponge de bain.
– L’entraînement au self – défense commence demain à 8 heures, dit-il en lui jetant un regard en coin tout en riant face à son visage se décomposant face à l’annonce. Je plaisante. Quoi – que, il te faudra quand même apprendre à te servir d’une arme si tu veux nous être utile. Allons, donnes – moi ça, je vais t’aider. »
Louis prit l’éponge avant de venir frotter le dos de la jeune fille qui ne sembla nullement gênée par le geste.
Il prit soin de bien frotter mais sans forcer pour autant avant de dire :
« Sinon comment te sens – tu après ses événements ?
– J’aurais aimé l’aider, dit Shae en continuant de jouer avec la mousse. Moi aussi je pensais sauver une suicidaire mais tu aurais dû la voir, Louis…
– Comment ça ?
– Élémentaire mon cher Louis, dit en riant notre amie tout en soufflant la mousse sur lui. La jeune femme était droguée.
– Quoi ? Mais comment le sais – tu ?
– J’ai vu ses yeux, Louis, dit Shae en se tournant face à lui.
– Et ? redemanda – t – il tandis qu’il se saisissait de sa serviette pour la mettre sur ses épaules.
– Ils étaient dilatés… »
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Que d’événements en une journée pour nos Moriartys
Et surtout, un premier moment Louis x Shae, j’admets que j’ai eu un énorme plaisir à l’écrire. Louis est un personnage qui n’est, selon moi, pas assez développé dans l’oeuvre originale.
Shae et les frères développent une réelle relation à leur manière.
Alors ? Selon vous comment va se passer la suite ?
Va – t – elle devenir la Quatrième Moriarty ?
On se dit à la semaine prochaine !
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