« Comte Moriarty, cela ne peut plus durer !
Mes fermiers refusent de payer leurs fermages maintenant et ce n’est pas tout ! Certains menacent même d’abandonner mes terres afin de venir cultiver les vôtres. Il semble que cela leur permettrait de rembourser plus rapidement les prêts que je leur ai consentis il y a des années. »
Les cris du baron Dublin se faisaient entendre dans tout le manoir Moriarty.
Ils n’échappèrent point à William et à Shae lorsqu’ils passèrent ensemble la porte d’entrée de la bâtisse. Les deux jeunes se zieutèrent avant de monter à l’étage ; ils n’eurent même pas le temps de faire un pas de plus qu’ils se firent arrêter d’un geste par Louis qui se tenait dans l’entrebâillure de l’entrée du petit salon.
Un simple échange de regard avec William fut suffisant afin que le jeune homme reste en retrait, s’appuyant sereinement contre le mur tout en tirant Shae afin qu’elle fasse de même.
La jeune fille retint un grognement avant de venir se coller au mur entre William et Louis afin d’écouter la discussion.
Albert gérait la situation.
« Avec vos histoires, vous me poussez à la faillite !
Est – ce donc la chute de la bonne société que vous souhaitez ? Je nous croyais amis, voulez – vous donc me voir sur la paille !? J’ose espérer que vous n’êtes pas en train de pousser ces gueux à la révolte… »
Albert, resté silencieux jusque – là tout en sirotant un thé fraîchement rapporté par Louis, tourna ses yeux émeraudes vers le baron avant de lui adresser un sourire dès plus chaleureux avant de déclarer :
« Voyons, quelle drôle idée avez – vous là ? Moi ?
– Oui, vous ! s’exclama le Baron en tapant du poing sur la table ce qui eut pour effet de faire légèrement trembler la tasse que venait de poser Albert. »
Il était évident que la tension montait et que, bien qu’Albert pût aisément le maîtriser, cela n’arrangeait en rien les affaires de nos trois frères. Aussi, Shae sortit brutalement de l’ombre pour trottiner vers Albert en déclarant d’une voix fluette :
« Bonjour grand – frère !
Oh Baron Dublin, vous êtes encore là, je suis bien aise de vous voir ! Je souhaitais m’excuser pour tout à l’heure, vous avez dû me trouver un peu sèche
– Ce n’est rien, j’admets avoir été surpris de vous voir parler à des gens de la basse classe, dit le baron en la regardant se baisser en une révérence. Vous devriez faire plus attention, on ne sait jamais ce que peuvent penser ces gens – là.
– Je suis certaine que je suis en sécurité et puis, poursuit Shae, mon frère William veille sur moi comme vous avez pu le remarquer.
– Il est vrai que vos frères vous sont dévoués, répondit leur invité, c’est rassurant de voir qu’une telle fleur ne sera pas souillée par la populace. »
Shae se retint de ne pas jeter son venin à son visage tandis qu’elle sourit de manière forcée avant de se tourner pour poser ses yeux bleus dans ceux d’Albert.
Le comte esquissa un sourire à son attention, ce qui n’échappa pas à William, tandis que le baron semblait être serein en sa présence. Il ne faisait désormais aucun doute qu’elle exerçait un pouvoir d’attraction non négligeable sur lui.
Et, si la différence d’âge pouvait en gêner plus d’un, lui semblait au contraire désireux de goûter à cette jeune pousse pire, il semblait envier la promiscuité aux odeurs d’inceste entre la jeune fille et ses frères.
Shae avait déjà croisé pareil regard.
Elle avait vu beaucoup d’hommes, venus à la maison close de Lucia afin de goûter au plaisir de la luxure, poser sur ces jeunes filles, faussement ingénues, des yeux dilatés par le désir.
Il semblait être partagé entre sa rage initiale mais également par la jalousie.
Le baron la désirait et, bien qu’il la répugnait intérieurement, elle allait lui donner de quoi fantasmer pour quelques instants.
La jeune fille s’avança vers Albert avant de remonter délicatement sa robe afin d’éviter de marcher dessus et s’asseoir sur les genoux de son « frère » qui ne perdait en rien son sourire bienveillant sous le regard médusé de l’assistance.
Le baron ne put s’empêcher de mordre sa lèvre inférieure en arrangeant sa cravate et émettre un raclement de gorge. Il ne semblait plus parvenir à détacher son regard de la jeune fille qui enroulait ses bras autour du cou de Albert en venant poser un baiser sur la joue de ce dernier avant qu’elle ne dise :
« William me disait justement, après votre départ, qu’il serait ravi que nous déjeunions tous ensemble. Votre idée de Tea party lui a vraiment plu. Qu’en dis – tu Albert ?
– Oui, dit calmement le jeune homme en venant caresser la chevelure de la jeune fille.
– Je propose que cela se fasse chez moi, finit par dire sèchement le baron, allez savoir ce que prépare mes fermiers. Je préfère être sur mes terres.
-Il en va de soi, dit Albert en observant les réactions du noble, visiblement très serré dans son pantalon haut de gamme.
– Oh oui ! s’exclama Shae en se collant un peu plus à Albert sous les yeux exorbités par l’envie du baron qui ne savait pas s’il devait les regarder ou le décolleté plongeant de la jeune fille qui l’invitait presque à venir nicher son visage.
– Je ferais ainsi préparer ma serre pour l’occasion, réussit à articuler le noble. Et voyons, faites-moi plaisir appelez-moi Lenny.
– D’accord Lenny, dit Shae en faisant mine d’être gênée. »
Le baron fit une révérence avant de se diriger vers la sortie, accompagné par Louis.
Une fois que les bruits de pas se firent lointain, William pénétra la pièce au même instant où Shae se levait des cuisses de Albert, en s’inclinant pour s’excuser de cet acte. Le comte émit un rire avant de dire :
« C’était amusant et puis, tu es notre petite sœur maintenant, nous devons jouer ce rôle à la perfection.
– J’ai simplement voulu vous aider et il semble qu’actuellement je ne puisse vous servir qu’en tant qu’appât.
– C’est déjà très bien, dit Albert en se levant de son fauteuil pour venir caresser le dessus de sa tête, tu as joué ton rôle à la perfection. William, les informations de ton client concordent. Veuf, pas d’enfant, vit avec quatre domestiques qui ne l’apprécie pas tant que cela et son médecin.
– Bien, alors il ne reste plus qu’à mettre en place nos pions afin de faire tomber le Roi. »
William jeta un regard en biais à Shae avant d’avancer vers elle et dire tout en venant embrasser une mèche de ses cheveux :
« Et la pièce maîtresse de tout cela, c’est toi. »
Le soleil brillait haut dans le ciel quand la calèche des Moriarty s’arrêta dans l’allée de la demeure du baron.
Son serviteur les conduisit jusqu’à la serre avant de les inviter à patienter tandis qu’il ira chercher le maître des lieux. Pour l’occasion, et également pour rappeler aux jeunes gens leur position, tout avait été préparé soigneusement et de manière raffinée.
Une table se tenait au centre de milliers de fleurs et à côté se tenait une grande table où avaient été entreposés différents plats légers. La porte s’ouvrit une première fois mais ce n’était point le baron mais les Barton qui, silencieux, vinrent serrer la main d’ Albert avant de venir se positionner derrière eux.
Shae voulu aller vers Michelle pour la saluer mais fut tenu discrètement par William qui, sans la regarder, chuchota :
« Plus tard. »
La porte s’ouvrit sur le baron qui, d’abord surpris, finit par reprendre un visage neutre en disant :
« Qui sont ses gens ?
– Voici le représentant de vos fermiers et sa femme.
– Très bien, aujourd’hui nous allons nous servir façon buffet. J’espère que l’idée vous plait, Milady »
Le baron sembla ignorer l’intégralité des gens présents pour poser ses yeux sur l’unique personne qui avait déjà porté son attention sur autre chose. Shae, penchée sur un parterre de lys, posa ses yeux bleus sur leur hôte avant de se redresser et dire en souriant :
« C’est parfait ! Merci d’avoir fait l’effort de faire simple.
– J’étais certain que cela vous plairait, dit sincèrement Lenny en montrant la table remplie de mets de la main comme pour les inviter à se servir. »
Une fois tout le monde servi, ils s’installèrent tous autour de la table avant que le baron ne congédie son personnel.
« Pas d’alcool votre Seigneurie, déclara le médecin en partant.
– Oui, je sais ! dit le baron en secouant la main dans l’air comme pour chasser une bête. »
Une fois la porte de la serre fermée, il fit signe à ses convives de commencer à manger tout en disant à l’intention d’Albert :
« Pensez – vous que multiplier les alliés vous donne la victoire ?
– Sommes nous en guerre, baron Dublin ? demanda Albert en affichant un air faussement surpris. Et si, nous faisons plutôt honneur à ce repas que vous avez pris la peine de nous faire préparer.
– J’ai également fait une tarte aux pamplemousses, déclara joyeuse Shae, j’espère que vous l’apprécierez ! »
Comme flatté par la prise de conscience de l’effort investi, il acquiesça avant de porter sa fourchette à ses lèvres.
Plusieurs minutes passèrent et très vite, le baron se sentit presque oppressé par la situation.
Ne devaient – ils pas échanger quant à l’avenir de leur patrimoine et surtout des décisions qui leur permettrait de prospérer financièrement sur le dos de ces gueux.
D’ailleurs, d’où pouvaient bien venir ces nobles pour oser lui imposer la présence pouilleuse de ces deux roturiers dans sa propre demeure. N’avaient – ils donc aucun savoir vivre ?
Voilà ce que c’était donc d’hériter jeune d’une fortune bien trop lourde pour de frêles épaules.
Le baron sentit soudainement deux pupilles poser sur lui, aussi leva – t – il les yeux avant de prendre un air surpris en faisant tomber sa fourchette quand son regard croisa celui de la femme de Barton, presque déformé par un désir malsain.
« Quoi… ? Si vous revoulez de la tarte, resservez – vous.
– Alors vous aimez ma tarte ? s’enquit immédiatement Shae. Vous savez je l’ai faite avec les pamplemousses cultivés avec amour par Monsieur Barton, votre jardinier
– Ah bon ? demanda le baron en regardant Shae et Barton à intervalle régulier
– Décidément, finit par dire William, vous ne vous intéressez pas du tout à vos employés…Je suppose que vous ne vous souvenez pas non plus de Michelle. »
Lenny posa son regard sur la femme face à lui tandis qu’elle libéra sa chevelure pour la laisser tomber en cascade sur ses épaules tandis que William poursuivit :
« Oui, la mère de l’enfant que vous avez abandonné à la mort. »
Le baron fixa quelques secondes la femme en essayant de se remémorer tandis que le visage de Michelle passa de la neutralité à la haine. A cet instant précis, le baron fit un geste brusque en hurlant presque :
« Que…que voulez – vous !? Est – ce de l’intimidation ?! Une ligue contre moi ?!
– Voyons Baron, mes frères ne pensent nullement à mal, dit calmement Shae. »
La jeune fille se leva de sa place avant de venir derrière le baron pour le faire se rasseoir, ses mains délicates sur ses épaules pendant que son visage vint près de l’oreille du baron tandis qu’elle déclara :
« Nous sommes ici pour discuter de l’avenir des habitants de Durham et de nos terres ainsi que partager un délicieux repas, non ?
– O …oui ! Mais pourquoi avoir amené ses gens chez moi ? s’empressa de demander le baron légèrement sur les nerfs.
– Je vous ai pourtant parlé de l’autre travail de mon frère William, déclara Albert en passant de son éternel calme à un sérieux froid presque effrayant. »
Michelle se leva avant de venir face au baron :
« Vous êtes connus pour ne jamais recevoir autre que la noblesse en votre demeure. D’ailleurs vous ne sortez jamais sans vos gens…Aussi avais – je besoin d’un moyen de vous approcher, donc j’ai fait appel aux services de monsieur William.
– Eh bien, vous voilà devant moi… Que me voulez – vous ?
– Que vous receviez le châtiment que vous méritez, dit sèchement la jeune femme
– Mon… châtiment ? »
Le baron s’avança légèrement, se libérant de l’emprise de Shae par la même occasion, avant d’émettre un rire franc en déclarant :
« Et pour quel crime, je vous prie ? La mort de votre morveux ? Je vous ai éviter d’avoir une bouche inutile à nourrir, vous feriez mieux de me remercier. D’ailleurs je doublerais le montant de votre taxe le mois prochain, remerciez les Moriarty pour cela… Peut-être, est – il temps de faire un second enfant, vous risquez d’avoir besoin de mains d’œuvre pour augmenter la production. »
Le baron continuait à rire à gorge déployée avant de se tourner vers Shae, ignorant brutalement ses frères avant de venir prendre son visage entre ses mains et dire :
« Voyez ce que je vous disais plus tôt, laissez la populace vous souiller et vous ne serez plus jamais tranquille. Allons, venez je vais vous…
– Aaaaaaaah ! »
Le baron esquiva juste à temps le coup porté par Michelle avant de tomber à même le sol, fixant avec effroi la femme qui se faisait tenir par son mari.
« Qu’as – tu essayé de faire, vermine !
– Je vais réussir à venger la mort de mon fils, hurla Michelle libérant des larmes de rage, je vais vous transpercer le vide qui vous sert de cœur. »
Le noble serra brutalement de la main droite sa poitrine tandis que son visage blêmit petit à petit. Shae s’accroupit à sa hauteur avant de lui tendre la petite fiole de médicaments ainsi qu’un verre de jus de pamplemousse pressé en disant :
« Monsieur le vicomte, buvez vite.
– Vous êtes un ange ! dit – il après avoir bu l’intégralité du verre. Quant à toi, je vais te punir de mes propres mains ! Tu as un de ces culots ! »
Le vicomte se leva d’un coup avant de se saisir d’une branche de rosier qu’il leva dans les airs avant de s’apprêter à l’abattre sur la femme déjà en position pour recevoir le coup.
Quand le coup s’abattît, Lenny écarquilla les yeux en voyant le bras menu de Shae en défense et ses yeux bleus le dévisageant.
« Écartez- vous Milady !
– Non, elle a perdu un enfant par votre faute. Son acte était certes impardonnable mais… elle ne mérite pas de subir un autre préjudice de votre main. »
Lenny serra la branche si fort qu’elle lui laissa quelques entailles dans la peau.
Il finit ensuite par faire signe à Michelle de partir avant de se laisser tomber dans la chaise tandis que Louis s’approcha de Shae pour voir l’ampleur des dégâts.
« C’est vraiment de la vermine, c’est bien pour vous que je le fais Mademoiselle Moriarty sinon j’aurais puni cette femme comme elle le mérite.
– Allons vicomte, déclara William, vous êtes sorti indemne de tout cela. Soyez cléments.
– La clémence ? Vous avez laissé rentrer un loup dans ma bergerie, je devrais la lacérer … »
Soudainement la vision de William jusque – là très nette pour le baron se fit floue tandis que son cœur se mit à s’emballer à cent à l’heure.
« Que se passe – t – il ? J’ai des vertiges…
– Ne le saviez – vous pas ? Les fur coumarines présentes dans les pamplemousses amplifient fortement l’effet de la quinine… Ce qui a pour effet de faire baisser la tension et provoquer une sorte d’attaque…
– Mon médecin, appelez mon médecin… »
Shae vint s’asseoir face au baron venant poser sa main sur sa tête tandis qu’elle chuchota à son oreille :
« On vous a demandé la même chose, il y a quelques temps… Vous souvenez vous de votre réponse, Monseigneur ? »
Le baron ferma les yeux avant de se rappeler toute la scène tel un flash-back qui se déroulait tandis que sa vie défilait à son tour sous ses yeux.
Il les réouvrit brutalement avant de poser son regard faiblard sur William et bredouiller :
« Tout était calculé…mais pourquoi…
– C’est le châtiment que moi, William James Moriarty, consultant du crime, suit venu vous infliger. »
Les trois frères regardèrent ainsi la vie de leur hôte quitter ses lèvres en un soupir de regret.
Ils attendirent encore quelques secondes avant que Shae ne pousse un cri strident qui rameuta tous les serviteurs, se hâtant pour sauver un homme déjà bien mort.
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Je ne sais pas vous mais je ne verrais plus les tartes aux pamplemousses de la même manière.
Qu’avez – vous pensé de cette danse macabre entre les frères Moriarty , Shae et le fût baron Dublin
Pensez – vous que cette action aura des conséquences positives ou négatives sur le quatuor ?
J’ai tellement hâte de vous publier la suite que je n’arrête pas de pianoter
Je vous dit à la semaine prochaine dans To Be Mine ❤️
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