Le chemin du retour se fit dans un silence de plomb, entrecoupé par le tintement des sabots des chevaux lancés au galop.
L’aîné des frères Moriarty n’osa même pas faire de commentaires sur toutes les bonnes choses que leur avait données Lucia en partant, en dédommagement des événements de la journée. Il ne pouvait s’empêcher de regarder William et Shae qui, assis côte à côte, faisaient tout pour n’avoir ni contact visuel ni contact physique ; un exploit soit dit en passant à la vue de la manière de conduire de Sébastian.
À peine eurent-ils passé le grillage de la demeure des Moriarty, et que la calèche fut à l’arrêt, que Shae sauta hors de celle-ci et commença à courir vers l’entrée de la demeure.
« Tu ne la rattrapes pas ? »
Le regard que William jeta à Albert le fit esquisser un sourire taquin tant la colère de son frère était palpable. Le blondinet descendit et prit le chemin des jardins pour simple réponse, il avait, semble-t-il, besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.
Le comte l’embêtera donc avec cela une autre fois. Aussi prit-il le même chemin que la jeune fille pour rentrer dans la demeure, où déjà l’odeur d’un plat mijoté flottait dans l’air.
Ils étaient restés si longtemps que Louis avait eu le temps de rentrer de Durham. Albert posa son veston sur le rebord d’une chaise avant de se laisser tomber dans un des fauteuils en poussant un soupir d’aise, il fixa quelques instants le plafond et ses moulures avant de détourner le regard pour le poser sur un Louis souriant et les mains déjà chargées de mets délicieux à son attention.
« Nul besoin d’une femme quand on a un frère aussi attentionné.
– Quand je suis rentré, déclara Louis en rougissant, j’ai vu que la maison était complètement vide. Je me suis donc dit que vous auriez besoin d’un en-cas à votre retour. Dure journée ?
– Rien que nous ne puissions pas affronter,dit Albert en s’asseyant, enfin, nous nous sommes rendus à East End. L’animal vient de là-bas. »
À l’évocation du terme « animal », Louis tiqua.
Une légère déception se lut sur le visage du plus jeune frère et Albert n’eut pas de mal à comprendre ses pensées. En ne les voyant pas tous là, il s’attendait à ce que William ait fait les choses correctement et s’en soit débarrassé afin que leur plan ne soit pas entaché, mais il semblait qu’elle était encore danscette maison, fait confirmé quand il l’entendit faire les cent pas à l’étage supérieur.
« William a perdu son sang-froid, aujourd’hui. »
Louis posa son regard sur Albert, surpris, pendant que ce dernier portait un gâteau à ses lèvres en le regardant.
« Qu’a-t-elle fait ? »
Albert raconta en détail les événements de la journée à son frère, terminant sur l’accès d’impulsivité de William et l’air choqué que celui-ci avait laissé entrevoir avant de demander à rentrer.
Louis se laissa tomber dans le fauteuil aux côtés de son aîné et passa une main dans ses cheveux blonds, laissant entrevoir légèrement sa cicatrice.
« Je savais que ce n’était pas une bonne idée qu’elle soit ici…
– Je crains fort que s’en débarrasser ne soit plus une option viable, Louis.
– Pourquoi elle… ? Qu’a-t-elle qui le rend aussi instable ? »
Pour réponse, Albert haussa les épaules et transita sur d’autres événements.
Ô, mon cher Louis, si seulement William lui-même le savait, sûrement les choses auraient été bien plus simples.
Le jeune homme s’était montré inquiet et en colère, là où dans d’autres circonstances il aurait observé un calme sans bornes. Il s’était montré impulsif pour une parfaite inconnue et cela le rendait complètement fou.
Aurait-il dû écouter son petit frère et l’éliminer quand il le pouvait ? Aurait-il dû prendre tous les paramètres de sa présence en compte et faire en sorte que cette chienne qui a la rage soit châtiée ? Lui tordre son petit cou fin ou tirer une balle entre ses deux yeux prunelles couleur turquoise ? La jeter dans la Tamise comme les nouveau-nés des catins et les mauvais payeurs ?
Aurait-il dû voir venir ce sentiment qui le consumait de l’intérieur, créant une douleur lancinante dans sa poitrine qui traversait chacun de ses membres petit à petit ? Le voir se faufiler jusqu’à sa matière grise et embrouiller ses idées, l’empêchant d’être lucide et rationnel ?
Aurait-il dû la voir venir ?
D’un geste libératoire, il donna un coup de canne dans les roses dont les pétales bafoués s’envolèrent avec le vent.
« Elles ne vous ont rien fait. »
Il s’immobilisa net.
Ses yeux inexpressifs se levèrent pour se plonger dans ceux de Shae, assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, une jambe dans le vide.
« Elles non, mais vous si.
– Souhaitez-vous donc me fouetter comme vous le faites avec elle ? »
Comme un geste de défi, Shae tint les pans de sa robe et passa l’autre jambe avant de sauter depuis sa fenêtre avec une délicatesse presque envoûtante. Elle se releva lentement avant d’avancer jusqu’à William, s’arrêtant à quelques centimètres.
Le jeune homme posa sa canne au sol, ses yeux pourpres ne parvenaient pas à se détacher de ceux de la jeune fille.
« J’aimerais vous faire bien pire que simplement vous fouetter vu la colère que vous réveillez en moi.
– N’est-ce pas l’hôpital qui se fout de la charité en ces lieux ? Demanda – t – elle en retenant un ricanement. Vous me giflez et c’est vous qui êtes hors de vous ?
– Nous souhaitions vous protéger et vous n’en faites toujours qu’à votre tête, dit Will sur un ton agacé.
– Ai-je demandé votre protection ? S’offusqua Shae en mettant ses mains sur ses hanches. Je vous ai demandé bien des choses, je le concède : votre aide quand j’étais captive, votre hospitalité le temps de ma convalescence, ma liberté quand j’ai appris vos desseins… Mais votre protection ?! Et puis, est-ce en me gardant dans votre cage dorée que vous comptez me protéger ? Mais de qui, je vous prie, Monsieur ? De vous ? »
William serra les dents.
Elle était d’une désinvolture et d’une arrogance à toute épreuve et sa manière de le défier le rendait complètement fou, à savoir si c’était de désir ou de rage.
Le jeune homme finit par pousser un soupir et sortir de sa poche un mouchoir avant de s’approcher d’elle, ignorant son regard de menace, il posa le mouchoir sur la poitrine de la jeune femme, celui-ci s’entachant immédiatement de sang.
« Pourquoi haïssez-vous à ce point les nobles, Shae ? demanda William.
– Cela vous regarde-t-il ? rétorqua la jeune femme en gonflant les joues.
– Vous nous avez amené à East End pour nous parler de votre passé, mais de votre passé je ne sais rien de bien concret contrairement à vous qui, malgré mon récit, avait osé m’appeler « pourriture de noble ».
Votre passé est aussi flou pour moi que votre existence, les seules choses qui me sont limpides sont que votre mère est morte et que votre « nourrice » est très bien entretenue vu la somme que lui verse chaque mois le secrétaire d’État.
Allez-vous finir par me dire la vérité ou devrais-je me quérir à la cour royale pour l’entendre de celui que vous craignez tant ? Sûrement serait-il ravi que je lui offre votre tête sur un plateau. »
Shae se raidit, facilitant à William la tâche d’éponger le sang avant de prendre la main de la jeune fille et la poser sur le mouchoir en guise de pression.
« Alors ? demanda-t-il en retirant ses gants.
– Il n’y a rien d’exceptionnel dans mon histoire, Liam, finit – elle par dire en s’adossant à un petit pilier de marbre, ma mère m’a eu d’une liaison avec un noble qui l’a laissée sans le sou et engrossée jusqu’au cou. Vous connaissez le sort réservé aux femmes seules et enceintes ?
Le déshonneur, la pauvreté… La famille de ma mère s’est détournée d’elle, les nobles qui l’appelaient amie l’avaient laissé sans rien… Au point où elle a dû vendre son corps afin de subvenir à mes besoins.
Le père de Mycroft Holmes, ancien secrétaire d’État, avait eu l’ordre de mettre ma mère dehors en plein hiver ainsi que toutes les fois où elle vint demander une audience pour annoncer mon existence… Elle est morte en essayant de me faire reconnaître par mon père.
Mycroft essaye probablement de rembourser une dette qu’il pense avoir envers elle, car nous avons grandi ensemble, après tout, j’ai beaucoup joué avec lui et son frère quand nous étions enfants…
Je suppose que savoir les vraies raisons des visites de ma mère et le rôle que son père y a joué le rendent nostalgique et empreint d’un sentiment de culpabilité. Mais je n’en ai cure. La noblesse s’octroie des droits qui ne lui sont pas donnés par Dieu, elle n’est pas plus précieuse qu’un simple paysan…
Je les hais et je rêve du jour où la noblesse sera éjectée de ce vestige dont elle est si fière.
Je bâtirais ce monde quitte à ce que j’en meurs. »
William l’avait écouté sans jamais la couper.
Elle avait fait dans les grandes lignes, mais la voir se confier à lui avec une telle facilité le surprit. Une part de lui s’attendait à ce qu’elle conteste, se batte de nouveau voire le défie, mais elle semblait tout aussi confuse que lui.
« C’est la première fois que vous vous confiez à quelqu’un autre que Lucia, je suppose. »
Les joues de Shae s’empourprèrent pendant que ses yeux vinrent se plonger dans ceux rubis de William.
Touchée.
« Au lieu d’agir en tant qu’ennemie, si nous faisions plutôt une alliance. Vous souhaitez la même chose que nous ; certes nos méthodes ne sont pas des plus louables, mais le résultat qui en découlera sera celui dont vous rêvez : un monde où noble et roturier seraient libres et égaux en tout point. »
Il n’avait pas détaché son regard du sien, s’étant même rapproché d’elle au point où ses paroles n’étaient plus qu’un murmure à peine audible et leurs lèvres se touchaient presque :
« M’accorderez-vous le privilège de cette valse macabre, celle qui nous mènera vers cette réalité que nous désirons voir naître tous les deux ? »
Shae se sentait soudainement fiévreuse, son corps ne semblant plus lui répondre pendant que la proximité entre elle et William semblait s’amenuiser à mesure qu’elle respirait.
Ses lèvres rosées finirent par entrer en contact avec celles de William et le fruit, semblant si défendu, se faisait lentement croquer. Sous le regard de la justice divine, l’ange se laissa lentement consumer par le prince du crime.
William, prit de la même frénésie, la souleva de terre avant de la plaquer contre un des murs de la maison, loin des regards indiscrets.
Leurs lèvres restèrent collées un moment, leurs langues s’élançant dans une danse endiablée et ardente tandis que les jambes de la jeune fille venaient s’enrouler autour de la taille de l’homme qu’elle ne pensait pas aussi fort.
Ils semblaient en apnée, leurs corps collés l’un contre l’autre.
Brutalement, Shae repoussa William, haletante et son visage rougi par le désir, tandis que son regard affichait un mélange de lucidité et de honte.
« J’accepte de travailler avec vous, mais… cela ne doit plus se reproduire. Ni vous ni moi ne devons perdre notre objectif de vue : l’égalité des classes. Le chemin que nous empruntons ne nous permet pas de laisser de tels… actes prendre le dessus. »
William la regardait silencieusement pendant qu’elle arrangeait son corsage où sa poitrine voluptueuse ne demandait qu’à être couverte de baisers.
Il serra les dents en l’observant arranger ses cheveux dans lesquels, il y a quelques secondes encore il passait délicatement les doigts puis elle fit une révérence et dit :
« Je vous laisse annoncer à vos frères que je suis des vôtres, quant à moi, je remonte à mes appartements. »
Sans laisser au jeune homme le temps de dire quoi que ce soit, la jeune fille partit en courant comme elle l’avait fait plus tôt à l’opposé de la direction que prit William.
Il poussa un soupir en arrangeant son corsage et sa cravate, passa une main dans ses cheveux et se racla la gorge avant de marcher vers l’entrée qui mène au salon.
À son arrivée, les discussions banales cessèrent et il fit mine de ne pas remarquer que tous les regards étaient braqués sur lui tandis qu’il se servait un verre d’eau et s’enfonça dans le canapé en déclarant :
« Elle fait désormais partie de notre équipe.
– C’est une excellente nouvelle, s’exclama Albert, comment as-tu réussi à la convaincre ?
– Je lui ai simplement montré que nous avions les mêmes objectifs. »
Les yeux de Will se plongèrent dans ceux de Albert qui se retint de faire tout commentaire supplémentaire. Louis, quant à lui, regarda son frère quelques secondes puis soupira comme signe d’abdication avant de dire d’une voix calme :
« Bien, alors elle nous accompagnera à Durham le weekend prochain ?
– Je pense qu’il est préférable que ce soit le cas. Les femmes ont certains atouts qui peuvent s’avérer utiles dans nos missions, avait simplement dit William. »
Le jeune homme but son verre d’une traite et prit un scone pendant qu’ils se lancèrent dans des discussions liées à l’organisation des prochains jours ainsi que le rôle que jouerait désormais la jeune fille.
Les discussions finies, ils vaquèrent chacun à leurs occupations et malgré la quantité de petits gâteaux ou de tasses de thé qu’il put ingérer, le jeune homme se montrait frustré de voir que le goût de ses lèvres restait accroché aux siennes.
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Hé bien, bien, si tu es là c’est que tu viens de finir le tant attendu chapitre 12 de To Be Mine !
Les mots et les gestes sont lachés, semble – t – il !! J’ai pris un tel plaisir à l’écrire , décrire les émotions de Liam ❤️ Et la relation de Shae / Liam a pris un tournent que je n’avais pas du tout prévu ptdrrrrr * Et c’est moi l’écrivain, oui oui *
Alors qu’avez vous pensez de ce chapitre ?
Quelles sont vos suppositions pour les prochains chapitres ? Nous nous rendons à Durham !!
Donnez moi vos avis dans les commentaires, votez & on se dit à la semaine prochaine pour les aventures de nos chouchous ! ❤️
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